Fabián Hernández a commencé à écrire Un Varón en 2012. Le cinéaste a grandi à Santa Fe, au centre de Bogotá en Colombie et voulait filmer ce quartier. Lorsqu'il était plus jeune, il faisant partie d’un gang et traînait avec des groupes qui faisaient du breakdance et du hip-hop :
"Mon frère et moi étions ce qu’on appelle des "caspas" (des racailles en français). On répondait à tous les critères d’une masculinité très codée : à travers notre démarche, nos expressions, notre façon de serrer la main... Même dans la manière dont on mettait nos vestes !"
"Un jour, j’ai vécu un événement très violent dans une des rues du Bronx, situé vers Los Mártires. Je l'ai interprété comme un signe. Il était temps que je sorte de cette violence, des armes et de la drogue", se rappelle le metteur en scène, qui réalise son premier long métrage.
Le film a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2022.
Fabián Hernández voulait rendre hommage aux personnes avec lesquelles il a grandi et à son quartier. Il souhaitait aussi aborder la question de la représentation masculine tout en évitant les clichés souvent présents dans les films latino-américains. Le réalisateur précise :
"Les notions chez Michel Foucault de thanatopolitique et de nécropolitique ont rapidement été une référence. J’avais l’impression que Foucault décrivait précisément ce qui se passait dans mon quartier ! On tuait des hommes pour montrer qu’on avait le contrôle sur les corps."
"Et celui qui tuait le plus d'hommes était celui qui avait le plus de pouvoir et le plus de reconnaissance. Presque tous les garçons avec qui j’ai grandi sont déjà morts. Il ne me reste que deux amis encore vivants. Alors j’ai travaillé avec eux pour recomposer mes propres souvenirs."
"Mon objectif principal a toujours été d’explorer et d’analyser notre fragilité de l'époque : nos inquiétudes, nos désirs sexuels et affectifs."
Fabián Hernández aurait voulu travailler uniquement avec un séquencier, mais il a quand même décidé d’utiliser un scénario : "J’avais rédigé quelques dialogues, mais je suis resté très ouvert aux propositions des acteurs pendant le tournage. La langue de ces garçons est si vivante !"
"J'ai tenté de faire un film honnête et direct pour éviter d’intellectualiser et de plaquer sur eux des idées préconçues. Je vois une poésie dans leur manière de parler, leur manière de bouger leur corps… J'ai tenté de garder ce registre qui me semblait authentique", confie le cinéaste.
Fabián Hernández a rencotré Felipe Ramírez, l’acteur qui interprète Carlos, en 2012, lors d'un concert de rap. Le metteur en scène se souvient : "Il y avait cinq danseurs de breakdance. Ils étaient très grands et Felipe, beaucoup plus petit, était au milieu. J’ai tout de suite compris que je venais de trouver le personnage de mon film. Notre première discussion a confirmé mon intuition."
"Aujourd’hui, je considère que nous sommes devenus amis. Je voulais que les acteurs s’impliquent dans la création du film. Il fallait trouver un point d’entente pour que la collaboration soit réelle. Je ne dirigeais pas beaucoup Felipe. Nous avions de longues discussions sur son personnage et puis nous tournions. En fait, je dirais que Carlos est un mélange entre mon passé et le présent de Felipe."
Un Varón révèle aussi l'engagement politique et social de Fabián Hernández. Ce dernier voulait que le film soit vu dans les quartiers populaires : "Mais il n'était pas question de leur offrir ce qu’ils ont déjà l’habitude de voir, à savoir que dans mon film, il n’allait pas y avoir de morts ni de sublimation de la violence."
"Je voulais les emmener sur un autre terrain, de la même façon que Carlos ne choisit jamais entre homme et femme, je ne voulais pas choisir entre fiction et documentaire. Et je les ai confrontés à un personnage qui se questionne sur sa sexualité... Bref, j'ai essayé de les sortir de leur zone de confort !"
Fabián Hernández a choisi la chanson Yo tengo un ángel, composée et interprétée par El Gallego, pour accompagner le film : "J’ai demandé à l'équipe son de faire en sorte que le film sonne comme le quartier. Je ne voulais pas de sons artificiels qui enferment les personnages dans une atmosphère déterminée."
"Je ne voulais pas maquiller la réalité. La chanson de Gallego est un véritable hymne pour les garçons du quartier. Elle décrit très bien les émotions qu’ils traversent au quotidien. Yo tengo un ángel est une chanson qui leur donne la force d'aller de l’avant", se rappelle le metteur en scène.
Fabián Hernández n'a engagé personne pour réaliser des repérages : il a emmené son équipe dans les endroits où il a vécu les épisodes de son adolescence qu'il décrit dans le film : "Pour moi, c’était essentiel de tourner à Santa Fe et à Los Mártires. Ce sont des quartiers qui sont en train de disparaître."
"Il y a de plus en plus de nouveaux bâtiments et les rues commencent à ne plus du tout ressembler à celles de ma jeunesse. Je tenais à y laisser une trace filmique. Cette idée est intimement liée aussi au voyage intérieur de Carlos et cela a un écho très fort pour moi : je ne verrai plus jamais les rues où j’ai grandi."
"C’était également important de filmer dans l’Institut fondé par le père Javier de Nicoló (mon film lui est dédié). Il a été très important pour tous ces jeunes qui ont vécu des situations d’extrême détresse. Il tenait à ce que chacun de nous puisse trouver un endroit qui nous préserve de la violence", note le cinéaste.