Le film a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2022.
Le Barrage fait partie d’un travail au long cours du réalisateur Ali Cherri consacré à ce qu'il appelle les "géographies de violence, ou les paysages de violence". Il détaille : "Il s’agit de repérer comment les crises violentes s’inscrivent dans des environnements, et de les scruter assez attentivement pour rendre sensible combien des événements politiques, sociaux, géopolitiques y sont présents, même si de manière pas forcément explicite".
Le reste de la trilogie se compose des courts-métrages The Disquiet (L’Intranquille) et The Digger (Le Creuseur), qui fonctionnent aussi de façon autonome. Le premier a été tourné au Liban, autour de la question de la catastrophe, plus précisément des tremblements de terre. Le deuxième a été filmé sur un site archéologique dans le désert, aux Émirats Arabes Unis, et questionne la construction des récits historiques sur lesquels une nation essaie de se fonder, à partir d’objets anciens. Quant au Barrage, il a été tourné à proximité du barrage de Merowe, bâti par les Chinois au Nord Soudan. "Comme souvent dans ce type d’infrastructures, ce barrage est aussi un projet destructeur, qui a entrainé l’expulsion violente de ceux qui habitaient à proximité, les Manasir, et qui matérialise la brutalité de la dictature d’Omar el-Bechir, maître du Soudan de 1989 à 2019. C’est également un ouvrage catastrophique en termes d’environnement", explique Cherri.
La violence est un enjeu majeur du travail d'Ali Cherri. Pourtant, ce dernier représente peu d'actes de violence à l'écran car il s'intéresse à la manière dont elle s'exerce de façon invisible. Il s'est inspiré de son propre parcours : né au début de la guerre civile au Liban, il a grandi dans Beyrouth en proie aux combats, mais n’en porte aucune trace physique. "Je n’ai pas été blessé, je ne suis pas handicapé, je n’ai pas été tué. J’essaie de rendre perceptible comment les violences vécues sont présentes, dans les corps et dans les paysages, au-delà des traces explicites, des ruines, des blessures, des cicatrices apparentes."
Le tournage du film a été perturbé par la révolution soudanaise : au bout de dix jours de tournage, Omar el-Bechir a été renversé par un coup d'État de l'armée, à la suite de quatre mois de manifestations populaires. L'équipe a dû quitter le pays, sans savoir s’il serait possible de revenir. Puis la pandémie est arrivée. Malgré ce contexte difficile, le réalisateur n'a jamais abandonné le projet : "au contraire pendant cette absence, j’ai considérablement étoffé le scénario, à partir de ce que j’avais déjà tourné. C’est là que Le Barrage est véritablement devenu un projet de cinéma."
Le personnage principal a une plaie dans le dos. La blessure est un motif important dans le travail du réalisateur, car il a lui-même été malade enfant et en a longtemps gardé une cicatrice très profonde. "J’ai toujours perçu la blessure comme un lieu de passage entre l’intérieur et l’extérieur, de circulation entre le corps et le monde. Il m’est arrivé d’utiliser l’image classique de l’incrédulité de Saint Thomas, du doigt dans la blessure, comme moment à la fois d’une rencontre, d’une souffrance, d’un trouble."