Mario Martone explique pourquoi il a confié ce rôle d’un Napolitain, qui revient à Naples après 40 ans d’absence, à un Romain (l'acteur Pierfrancesco Favino) : "Parce que durant ces 40 ans, ce Napolitain a voyagé dans le temps et dans l’espace, un voyage qui a transformé sa langue."
"Donc, ne pas être napolitain pouvait être un atout pour créer ce personnage. De toute façon, j’ai aussitôt pensé à Pierfrancesco Favino en lisant le livre. Je le lui ai ensuite donné à lire en lui disant : « Ce pourrait être ton film napolitain ». Et il est devenu ce qu’exigeait le rôle."
"De toute façon, je fais chaque film en réaction à mon film précédent. Avant Nostalgia, j’avais réalisé Qui rido Io, dans lequel tous les acteurs, Toni Servillo en tête, étaient napolitains. Chaque film est pour moi l’occasion de faire table rase. Je n’aime pas répéter un style, une forme."
Nostalgia a été présenté en compétition au Festival de Cannes 2022. Mario Martone connaît bien la croisette puisque Théâtre de guerre y a été présenté dans la section Un Certain Regard en 1998. De même, L'Odeur du sang a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2004.
Mario Martone explique quelle différence il y a entre être Italien et Napolitain : "Être Napolitain, c’est une façon particulière d’être Italien. Notre ville est restée la même depuis la Grèce antique. Naples est une ville dans laquelle il y a une sorte d’abandon, un désenchantement, qui peut subitement se retourner, se renverser, pour devenir un enchantement."
"A Naples, chanter, jouer, être comédien, c’est naturel. Chacun se dissimule derrière un masque, et cache ainsi la conviction profonde que le fait d’être au monde est une condition de souffrance. Prenez par exemple, Toto, l’acteur comique le plus aimé d’Italie. Il était né à Naples, dans le quartier de la Sanità. Derrière son masque, il portait une profonde mélancolie."
Mario Martone a choisi Pierfrancesco Favino pour jouer Felice en raison de la forte capacité de mimétisme linguistique propre à l'acteur, mais aussi pour sa sensibilité "quasi féminine, qui s’accorde très bien à la création d’un personnage tel que Felice Lasco".
"A mes yeux, Pierfrancesco est anima (l’âme) comme l’était Chaplin, c’est-à-dire une incarnation féminine de l’imagination masculine. Alors que, par exemple, Anna Magnani était plutôt animus (l’esprit), soit l’aspect masculin de son âme", précise le cinéaste.
Mario Martone a intégré les quelques flashbacks sur la jeunesse des personnages par un changement de cadre. Il s'agit d'une une idée de son directeur de la photographie, Paolo Carnera : "Je n’hésite jamais à adopter des idées suggérées par d’autres."
"Travailler en équipe, c’est regrouper les énergies créatives autour de vous. J’écoute les assistants. Je n’aime pas le système hiérarchique vertical, le coté chef de poste qui dit « il n’y a que moi qui parle au réalisateur », je conçois le plateau comme une troupe."
"Il vaut toujours mieux créer une situation où chacun est concerné, chacun travaille plus et mieux. J’aime être surpris par un acteur, j’aime voir comment il fait évoluer mon idée à travers son intuition. Comme Tommaso l’a fait dans sa grande scène…"
Nostalgia est adapté du livre du même nom de Ermanno Rea. Un écrivain que le réalisateur connaît bien : "Ermanno était quelqu’un de très attentif aux questions sociales. Nostalgia est un livre qu’il avait écrit il y a très longtemps, mais il y revenait sans cesse, il le réécrivait, le retravaillait, tout en sortant d’autres livres."
"Il a fini par le publier, quelques mois avant sa mort. J’ai dû me résoudre à faire le film sans lui. J’aurais eu plein de questions à lui poser. Sur la fin. Sur ce que contenait ce tiroir qu’Oreste ouvre brutalement. Je suis resté fidèle à ce qu’il avait écrit", explique le metteur en scène.
Pour Mario Martone, la scène des retrouvailles de Felice avec son ami d’enfance, Oreste, est la plus importante du film. Elle a été tournée aux trois-quart du tournage. Le cinéaste se rappelle : "D’habitude, je travaille à la table, comme au théâtre, on répète avec les acteurs."
"Mais là, comme les deux acteurs ne se connaissaient pas personnellement, j’ai fait en sorte qu’ils ne se rencontrent jamais avant de tourner cette scène. Je voulais filmer la fraîcheur de cette rencontre, et l’inattendu, parce que chacun ignorait à quoi s’attendre de la part de l’autre."
"On l’a tournée à deux caméras, sans jamais s’interrompre, bien qu’elle fasse dix minutes. La scène avait été le fruit d’un long dialogue avec Ippolita Di Majo et avec Pierfrancesco. Mais c’est à Tommaso que revient l‘idée de ne pas regarder Pierfrancesco, de retarder ce moment le plus possible."