Les films sur l’esclavage sont légion dans le cinéma américain. Dans le cinéma français, je pense qu’on a assez d’une seule main pour les compter ! « Ni Chaines ni Maîtres » réalisé par Simon Moutaïrou est donc un film par essence intéressant et qui mérite qu’on s’y attarde. Sur à peine 1h40, soit une durée assez courte au regard du cinéma d’aujourd’hui, il met en scène la fuite et la quête de liberté d’un esclave dans l’Ile Maurice de 1759. L’esclavage français, sa cruauté, son absurdité, sa bonne conscience catholique chevillée au corps, y est montré dans toute sa première partie sans ménagement. Tout respire la cruauté, des paroles pleines de condescendance et de morgue aux châtiments corporels, montré sans ménagement par un réalisateur qui ne détourne pas facilement la caméra des plaies, du sang, de la souffrance. C’est évidemment douloureux à regarder et à entendre, c’est filmé sans concession, mieux vaut être prévenu. La deuxième partie, encore plus réussie, consiste en une course-poursuite dans la jungle mauricienne entre Massamba et Madame la Victoire. Cette deuxième partie nous offre, du suspens, des images de nature sauvage magnifiques, de l’action et des rebondissements. La troisième et dernière partie tire un peu en longueur,
au moment où Massamba retrouve enfin sa fille. Il est là question de chamanisme et d’animisme, qui sont des concepts surement plus compliqués à appréhender pour nous. Le film s’arrête brusquement, sur une image terrible et dans un silence de mort.
Alors que pendant toute la deuxième partie la musique aura ponctué la course folle de Massamba, la troisième partie est beaucoup plus silencieuse, murmurée
et même vers la toute fin, chantée
. A part cette petite baisse de rythme dans la dernière partie, il n’y a pas grand-chose à redire sur le travail de Simon Moutaïrou qui a fait un beau travail de reconstitution historique. Le casting est dominé par Ibrahima Mbaye Tchie et Camille Cottin. Le premier ne ménage pas sa peine dans le rôle hyper éprouvant de Massamba, la seconde nous offre une chasseuse de marrons opiniâtre et armée de sa foi catholique en bandoulière, qui lui sert essentiellement de caution morale. C’est rare de voir Camille Cottin dans un rôle aussi noir et la cruauté de son personnage contraste tellement avec son regard doux que cela est devient très troublant. Les autres rôles sont plus effacés, à commencer par Anna Thiandoum,
qui n’apparait qu’en début et fin de film
, et Benoit Magimel
qui disparait au bout de la première demi-heure.
Lui incarne un propriétaire d’esclave dans lequel un très tiède paternalisme cohabite avec une vraie cruauté, rejetant sur ses esclaves la responsabilité de la violence inouïe qu’il déploie : un grand classique de l’esclavagisme. Le scénario montre donc comment s’organisait la vie en Isle de France sous Louis XV, l’esclavage made in France, son fonctionnement, ses châtiments, ses « justification ». L’esprit des Lumières qui souffle en métropole n’est pas arrivé jusque dans l’Océan Indien
(à part un peu avec le rôle d’Honoré, ce qui ne lui portera pas chance)
. Tous les différents peuples d’Afrique Noir ont été emmenés pour travailler la canne à sucre. Massamba et Mati sont des Wolofs mais il y a aussi des Peuls, des Bantous, des Malgaches, tous loin de chez eux et sans espoir d’affranchissement.
Le seul affranchi que Massamba rencontre est repassé à la clandestinité, il suffisait pour les blancs de bruler le papier ! Ce personnage fugace, qui a combattu avec les armées du roi avant d’être renvoyé à sa condition d’esclave, pose question. Il faudrait creuser pour savoir si des africains ont réellement combattus pour Louis XV, et dans quel conflit.
Pour le reste, sur le fond je ne vois pas à redire sur le travail du scénario.
Peut-être que la petite touche de « surnaturel » à la toute fin n’était pas nécessaire, elle apporte un peu de confusion dans un film jusque là hyper réaliste. [/spoiler[spoiler]]La fin du film est terrible, on se doutait bien qu’un happy end était exclu, mais on n’imaginait pas la dernière scène aussi déchirante
. « Ni Chaines ni Maître » est indéniablement un film ambitieux, parfois difficile à regarder, mais qui a le mérite de jeter une lumière crue sur un fait historique bien peu glorieux de l’Ancien Régime. Si l’on met de côté ses petits bémols, ses petites longueurs, on a (enfin) l’occasion de regarder les yeux dans les yeux un aspect bien peu glorieux de la vraie Histoire de France.