Après un sommet tel JFK, ayant autant suscité autant de controverses que d'admiration, on pensait qu'Oliver Stone choisirait une voie plus classique s'il se hasardait de nouveau sur le terrain de la politique. L'assassinat du président Kennedy apparaissait comme le sujet le plus sensible jamais touché par Stone, qui pourtant s'y connait en la matière (Le Vietnam avec Platoon ou Né un 4 Juillet, l'ultra-violence et sa médiatisation avec Tueurs-Nés). Eh bien non, à ce jour, son œuvre la plus complexe demeure le récit biographique du 37ème président des États-Unis, Richard Nixon. Stone, un réalisateur très à gauche s'attaquant à l'une des figures républicaines les plus contestées? Les détracteurs du cinéastes n'avaient pas besoin de plus pour aiguiser leurs couteaux à l'annonce de ce nouveau projet.
Dommage pour eux, ils n'ont pas eu à s'en servir. Non pas que Stone ne s'attaque pas aux aspects les plus obscurs de Nixon, mais parce que son traitement a de quoi désarmer. Et pas uniquement ses opposants. Ses défenseurs furent également décontenancé par le ton incroyablement nuancé que le réalisateur livre du président destitué en 1974. Épousant une forme hagiographique, mêlant différents passages de la vie de Richard Nixon, le film est sûrement le plus profond de son auteur. Car Nixon ne fut pas uniquement l'homme des sales coups tels évidemment le Watergate entre autres (le film nous apprend d'ailleurs sa participation dans d'autres machinations). Son engagement en faveur d'une ouverture vers la Chine par exemple tranchait radicalement avec la ligne de son parti. Puis le retrait du Vietnam, les crédits militaires abaissés.
Mais que les néophytes se rassurent: ici, il n'est pas question que de politique. La personnalité et le comportement de Nixon est la pierre angulaire de ce film-fleuve. Contradictoire, glaçant mais touchant; voilà qui était cet homme. La performance d'Anthony Hopkins résonne encore longtemps dans les têtes le "biopic" fini. Son mal-être, ses doutes, son complexe d'infériorité par rapport aux Kennedy...Stone a beau rester à distance, l'émotion est bien plus présente car on sent qu'il est si près de l'humain. De plus, certains thèmes, faisant directement écho à l'enquête de Jim Garrisson pour JFK, permettent au metteur en scène de conceptualiser les maux de l'Amérique d'alors (et d'aujourd'hui?). À ce titre, la scène se déroulant au Lincoln Memorial est tout simplement magnifique. Car non seulement il cristallise la difficulté d'initier une politique quand tant de choses sont en jeu, mais également parce qu'à ce moment, Nixon comprend que même au sommet du pouvoir, il demeure à la merci de quelque chose qui le dépasse.
Il y a vraiment beaucoup de choses à voir et à dire de Nixon mais son avantage, paradoxal, est de pouvoir le synthétiser parfaitement. Les acteurs sont tous incroyablement inspirés (Joan Allen, James Woods, le regretté J.T Walsh, et tant d'autres...), le montage tient du génie, le travail sur la lumière achève de donner des allures Shakespearien au film, et John Williams accompagne le tout d'une musique irréprochable. Un chef d'œuvre.