Après son court-métrage Ici, personne ne meurt (2015), tourné dans une mine d’or au Bénin, Simon Panay plonge sa caméra dans la mine de Perkoa au Burkina Faso. Il a réalisé tous ses films en Afrique de l’Ouest et c’est là-bas qu'il s'est formé au métier, aux côtés de documentaristes comme Souleymane Drabo : "J’ai vécu une bonne partie de ma vie d’adulte au Burkina, que je considère comme mon deuxième pays."
"Pour mon troisième documentaire, j’ai en effet découvert le monde des mines d’or artisanales, et c’est un monde qui m’a particulièrement fasciné. Plonger dans cet univers artisanal, en compagnie des orpailleurs de la mine de Perma, au nord Bénin, m’a permis de comprendre ce qui m’échappait : leurs mentalités, leurs croyances, leurs motivations, pourquoi certains restent et d’autres partent."
"Mais le tournage a été arrêté au bout de huit jours par les autorités qui nous ont confisqué notre matériel. Il y avait de la corruption autour de cette mine illégale et beaucoup d’accidents mortels. Le projet a donc été écourté mais je voulais continuer à travailler sur ce sujet et particulièrement sur les enfants dont la présence m’avait le plus marqué. En descendant dans les galeries, j’avais croisé un gamin de 8 ou 10 ans."
"Je suis rentré en France avec son visage en mémoire, le revoyant à chaque projection en festival. Nous ne pouvions pas retourner dans cette mine-là, à cause des problèmes d’autorisations. J’ai donc décidé de privilégier un tournage au Burkina Faso où j’avais déjà tourné deux documentaires. C’est un pays que je connais bien, où j’ai des attaches et un historique", se rappelle le metteur en scène, en ajoutant :
"La bourse de la Fondation Lagardère m’a permis de faire des repérages. J’ai visité une dizaine de mines dans tout le pays. Ce projet de recherches photographiques était surtout un prétexte pour trouver un personnage, ce qui s’est produit après quatre semaines de voyage."
À 29 ans, Simon Panay a réalisé quatre court-métrages documentaires en Afrique de l’Ouest. Il a reçu en 2014 le Prix du Jeune talent de l’année de l’ARP et en 2018 la Bourse Documentaire de la Fondation Jean-Luc Lagardère. Son dernier court-métrage, Ici, Personne ne Meurt, tourné dans une mine illégale du Bénin, a été projeté dans 71 pays et a remporté 133 prix en festivals. Pour son premier long-métrage, il explore davantage le monde des mines d’or avec Si tu es un homme.
Ce projet de film a permis à Simon Panay d’engager le dialogue avec des travailleurs de la mine de Perkoa. Le metteur en scène leur a demandé s’ils acceptaient qu'il les photographie. Il se rappelle : "Opio travaillait avec son équipe d’orpailleurs sous une tente et passait les poussières sur un tapis pour trouver des traces d’or. C’était le plus jeune du groupe. Les autres avaient 18-20 ans. Je me suis adressé au plus âgé, comme le veut la tradition en Afrique.
"Mais j’ai été extrêmement étonné que tous se tournent vers Opio pour avoir son approbation ou pas sur le fait d’être photographiés ! Au Burkina, c’est le plus âgé qui décide en général. J’ai alors découvert le charisme naturel d’Opio et quelque chose de vraiment électrique et d’intense dans son regard. J’ai compris en moins de cinq minutes que j’avais trouvé mon personnage. Se faire accepter prend du temps, j’ai commencé par aller voir tout le monde sans caméra."
"J’ai passé du temps avec les autorités locales, la gendarmerie et toutes les institutions ainsi qu’avec les chefs de tradition. Nous avons entrepris un travail de pédagogie pour que tout le monde comprenne pourquoi nous étions là et afin qu’il n’y ait pas de fantasme autour de notre présence. Nous avons tout déconstruit pour partir sur des bases saines."
Simon Panay a beaucoup travaillé la profondeur de champ pour inscrire ses personnages dans le décor, tout en déplaçant le point de vue régulièrement. Le cinéaste justifie ce parti pris formel : "La question du point de vue m’intéresse beaucoup et il me semble que selon l’endroit où l’on place la caméra, on exprime des choses différentes. La profondeur de champ a alors du sens."
"Dans la scène où la famille d’Opio est réunie, je cherche en permanence sur qui focaliser mon attention. Est-ce sur celui qui parle ? Ou sur Opio qui n’écoute pas ? J’aime la contrainte d’une focale fixe et d’une petite profondeur de champ car ce dispositif oblige à prendre continuellement des décisions de cinéma. J’ai tenté, à travers ce procédé, d’immerger le spectateur dans la scène."
Malgré le danger, Simon Panay a décidé d'accompagner Opio dans les galeries. Il explique : "Quand on documente une réalité, je crois qu’il est important d’aller jusqu’au bout. Cela ne me paraissait pas pensable de rester en surface, de mettre une caméra sur la tête d’Opio et de me contenter de récupérer les images. Il fallait qu’on ait cette même dimension de cinéma et de point de vue qu’on a à l’extérieur."
"Le problème de la GoPro posée sur la tête [caméra munie d’un stabilisateur], c’est qu’elle donne un point de vue très impersonnel. Il a toujours été évident que si Opio était amené à descendre dans les galeries souterraines, je le suivrai, même si c’était difficile. L’endroit est exigu, il y a plein de boue et pas de lumière. On a continuellement peur qu’il y ait des effondrements", explique le metteur en scène. Il ajoute :
"A la mine de zinc, d’à côté, il y a eu un effondrement trois mois après la fin de notre tournage. Huit mineurs sont morts dans les galeries. Le cinéma est un vecteur qui peut amener du changement. C’était donc essentiel de documenter la vie de ces enfants car à travers eux, on raconte le destin de milliers d’autres."