2025: Bong Joon-Ho est de retour et accouche d'un film profondément unique, sorte d'hybride inattendu issu d'un passage au mixeur de ses précédents métrages. Le résultat est extrêmement solide et se permet de tutoyer à plusieurs reprises le génie de ses ancêtres qu'il ne parvient par contre jamais à éclipser complètement.
Le métrage commence très fort avec une véritable leçon d'exposition qui parvient en 20 minutes à instiller intelligemment tous les enjeux et thématiques du métrage à grand renfort de voix-off et d'ellipses. Le hic, c'est que cette séquence est presque trop complète et condense en un unique point le plaisir de la découverte de l'univers en révélant sa main très tôt. De plus, l'oeuvre est lancée par cette séquence au rythme ultra soutenue avant de décliner lentement en inventivité pour atteindre un vrai ventre mou à mi-chemin, avant que la richesse visuelle et théâtrale de l'ensemble ne reprenne le pas vers un dernier acte intense et magnifique.
On retrouve ici toutes les thématiques chères à Bong Joon-Ho:
Sa passion pour les monstres et leurs rapports conflictuels et cruels avec l'humanité (d'un sens ou dans l'autre suivant si l'on regarde "The Host" ou "Okja") transpire à chacun des plans où apparaît l'espèce locale, les creepers. Ces derniers sont superbement animés avec une vraie recherche esthétique et éthologique qui culmine dans une mémorable chorégraphie finale. Il parvient surtout à dépasser l'opposition frontale avec l'Homme en faisant une sorte de synthèse des 2 films cités auparavant dans une résolution inattendue et puissante.
Mais par dessus tout, la part belle est encore une fois faite à l'aspect critique social du film, dans la droite lignée de "Snowpiercer" mais surtout du désormais culte "Parasite". Mark Ruffalo et Toni Colette en font des caisses dans des rôles trumpesques au possibles (néologisme justifié tant le clin d'oeil est appuyé), aussi insupportables que terrifiants face à un Pattinson qui s'affirme une nouvelle fois, n'en déplaise à ceux restés coincés en 2012, comme un des tout meilleurs acteurs de sa génération. Au programme, culte de la personnalité, dérives du capitalisme et mercantilisation de la vie humaine dans une dénonciation qui a perdu de son mordant après l'ouragan "Parasite" d'autant que le curseur de la SF n'est pas poussé au maximum pour étudier plus en détail l'aspect dualité pourtant alléchant.
Malgré ces défauts, Bong Joon-Ho reste toujours aussi habile pour créer des univers captivants. L'ironie est constante avec un humour très présent mais jamais pesant ni imposé au spectateur. On retrouve cette habilité à filmer des corps désarticulés dans des travellings rectilignes implacables tandis que l'ordre social implose (on pensera notamment à la géniale scène du dîner). Et pour les autres aspects techniques, notre réalisateur sait s'entourer des meilleurs en retrouvant notamment Jung Jae-il son compositeur de "Parasite" (qui a entre temps planché sur "Squid Game") ainsi que l'inénarrable Darius Khondji à la photographie (alias l'homme qui ne savait pas faire un plan laid).
En bref, un très bon cru pour notre ami sud-coréen qui parvient à succéder avec brio à son précédent métrage même si certains seront évidemment déçus de ne pas retrouver un film jumeau. Mais ce qui crève l'écran c'est avant tout l'amour mis dans cette adaptation périlleuse et le plaisir pris devant cette oeuvre très personnelle, imparfaite mais ô combien divertissante et riche.