Ce film est présenté à Cannes Première au Festival Cannes 2024.
Maria est l’adaptation libre du livre de Vanessa Schneider Tu t'appelais Maria Schneider (Éditions Grasset). Dans le film, Jessica Palud a déplacé le point de vue et c’est le regard de Maria qui scande le récit. La réalisatrice explique : "Dans son livre, Vanessa Schneider abordait sa cousine Maria par le prisme de l’intime, par le regard du témoin familial. Pour le film, je souhaitais déplacer ce point de vue et me focaliser sur Maria. Être dans son regard et ne jamais l’abandonner, faire la traversée avec elle."
"Le film est donc raconté uniquement à travers les yeux de Maria Schneider. Elle est de toutes les séquences. Il y a quelque chose chez elle qui me touchait profondément, sa liberté, ses choix et leurs conséquences. Maria est une des premières comédiennes à avoir parlé, elle a dénoncé les abus, et personne ne l’a écoutée. Elle en parle très tôt, que ce soit dans le documentaire de Delphine Seyrig Sois belle et tais-toi, ou au gré de ses interviews (« les films sont écrits par les hommes pour les hommes… »)."
"Cette parole s’inscrit dans une époque où il était impossible de remettre en cause la parole, la position de certains réalisateurs. On n’évoquait pas la place de la femme dans le cinéma, ni les dérives que l’on passait sous silence au nom de l’art. La création peut-elle émerger de l’humiliation, de la douleur et du mépris ? Ce que le film interroge, ce sont les limites de l’art, de l’utilisation d’une jeune comédienne et de la trahison qu’elle ressent. Et ces questions sont posées à travers le regard de Maria."
Au même âge que Maria Schneider lors du tournage du Dernier tango à Paris, à 19 ans, Jessica Palud a rencontré Bernardo Bertolucci puisqu'elle était stagiaire sur The Dreamers. Très admirative du travail du cinéaste, elle s'est souvent demandée comment il avait dirigé Maria sur Le Dernier tango à Paris : "L’histoire de Maria Schneider m’a percutée, sans doute parce qu’elle faisait écho à mon expérience des plateaux de tournage lorsque je travaillais comme assistante."
"Il y a encore une dizaine d’années, sur un plateau, il y avait peu de femmes. J’étais souvent la plus jeune et toujours entourée d’hommes. J’ai assisté à des scènes compliquées, des acteurs et des actrices humiliés et j’ai ressenti moi-même l’emprise dont certains réalisateurs abusaient. J’ai vécu des situations qu’aujourd’hui je qualifierais d’anormales, sans pour autant parvenir à m’exprimer. Alors, c’est vrai que l’histoire de Maria Schneider m’a bouleversée", confie la cinéaste. Elle ajoute :
"Je ne cherche pas à accuser, ni à juger, mais à faire avec l’héritage et à offrir un portrait de cette société, à travers un regard inédit, celui de Maria Schneider."
Jessica Palud souhaitait une image très travaillée mais qui ne soit pas trop esthétisante. Avec le directeur de la photographie Sébastien Buchmann, elle a cherché une beauté brute, au service des acteurs : "Les photos de la photographe américaine Nan Goldin ont été une source d’inspiration, son travail est empreint de liberté, ses images sont vraies tout en étant très belles… J’ai imaginé une mise en scène pure et frontale dans les cadres pour faire ressortir Maria à chaque instant et créer une identification universelle au personnage."
Pour écrire le scénario, Jessica Palud a échangé avec de nombreuses personnes qui ont traversé la vie de Maria Schneider. La réalisatrice précise : "Je trouvais nécessaire de confronter de multiples points de vue pour mettre à jour sa vérité. Le témoignage d’une personne en particulier m’a été précieux. Il m’a permis de rentrer dans l’intime de Maria, puisqu’il a vécu le tournage du Dernier tango à Paris et a été l’ami de la jeune femme pendant 17 ans."
"Par ailleurs, j’ai lu et vu énormément d’interviews de Maria dans les médias français comme étrangers. Ce qui m’a frappé, c’est qu’à chaque fois elle disait des choses que personne ne semblait entendre. Ses propos apparaissent en 2024 comme très contemporains alors qu’ils datent des années 70 !"
Pour concevoir la fameuse séquence où tout bascule, Jessica Palud a eu accès au scénario original du Dernier tango à Paris, l’exemplaire utilisé sur le plateau et annoté par la scripte : "La scène n’était pas dans le scénario. Telle qu’elle est écrite, cette séquence devait s’arrêter sur un geste violent. Mais le jour du tournage, la scripte fait des annotations dans la marge, pour consigner tout ce qui a été ajouté. Avant de tourner, Bernardo Bertolucci a seulement dit à Maria que ça irait plus loin. Il avait l’habitude de rajouter des scènes, de susciter l’improvisation, de chercher « l’accidentel » qui nourrit le cinéma."
"Mais là, avec le beurre, il y a une limite franchie. Lorsque Marlon Brando baisse le pantalon de Maria et prend le beurre, ce n’est pas écrit. La jeune femme est prise par surprise et plaquée au sol. Bernardo Bertolucci lui-même, dans ses propos à posteriori, l’a reconnu clairement. Il a dit qu’il voulait les vraies larmes de Maria, une réelle humiliation."
Pour cette séquence, une coordinatrice d’intimité était présente sur le plateau : il s'agit de quelqu’un qui n’intervient pas dans la mise en scène mais qui veille sur les acteurs. Jessica Palud ajoute : "J’avais aussi un cascadeur, parce que dans cette séquence, c’est un homme de 90 kg qui retourne violemment sur le sol une jeune femme de 19 ans."
Jessica Palud voyait deux solutions pour jouer Marlon Brando : soit trouver un acteur qui était son sosie, soit quelqu’un qui pouvait l’évoquer dans ce qu’il a représenté : la fascination, le mythe d’Hollywood. La cinéaste raconte : "Matt Dillon, c’est Rusty James, l’acteur dont on affichait le poster dans sa chambre d’adolescent. Il m’a confié que, comme Brando, il lui arrivait de rejouer le monologue du Dernier tango à Paris quand il était jeune. À l’image de Maria, il est devenu acteur très tôt et n’était pas préparé à cette soudaine immersion dans le milieu."
"Ce qui est arrivé à Maria aurait pu lui arriver. Il y a eu quelque chose de beau dans la relation entre Maria et Brando, une sincérité dans la bienveillance de Marlon. Dans une scène, ils se parlent d’égal à égal et il lui confie combien il se sent perturbé par ce tournage très particulier. Il n’empêche qu’à un moment, ça a dérapé. Je crois qu’après avoir tourné la scène, Matt Dillon s’est dit à propos de Marlon Brando, son idole : comment as-tu pu faire ça ?"