Sophie Barthes avait envie de réaliser depuis longtemps un film sur l'ectogenèse, un processus de procréation qui permet le développement de l'embryon et du fœtus dans un utérus artificiel. À ses yeux, cela représente l’étape ultime de ce que peut se permettre l’exploitation commerciale des progrès scientifiques et technologiques : "C’est la commodification et la marchandisation poussées à l’extrême. Une vision à peine outrée de ce qui se passe aux États-Unis où tout est constamment facilité par de nouvelles technologies, où tout est en vente et où l’on est en permanence rattrapé par la culture de la consommation – on peut parfaitement imaginer que ce que montre le film deviendra monnaie courante dans quatre ou cinq ans."
"J’ai chaque jour davantage l’impression de vivre de la science-fiction au quotidien : aux États-Unis, des sociétés décident quotidiennement, parce qu’elles le peuvent, d’imposer des technologies qui ont le pouvoir de changer le cours de l’humanité. Les ingénieurs qui développent ces nouvelles technologies pour ces sociétés n’ont pas été élus ; pas plus que ceux qui vont les subir n’ont été consultés", souligne la réalisatrice.
Elle se souvient que, quand The Pod Generation avait été présenté au Festival de Sundance en janvier 2023, la société Open AI lançait au même moment ChatGPT : "Il y a un an, tout le monde se moquait du chatbot sorti par cette même société. Même les gens de la SiliconValley avec lesquels j’avais parlé quelques années auparavant lorsque j’écrivais mon scénario, n’y croyaient pas. Et le prochain ChatGPT qui va arriver sera plus puissant encore".
Outre notre relation à la technologie, The Pod Generation évoque aussi l'instrumentalisation des êtres par la société capitaliste. Ainsi, l'héroïne a l'opportunité de faire un enfant sans être enceinte, et donc sans avoir à prendre un congé maternité. Un véritable bénéfice pour son employeur, que la réalisatrice dénonce : "Sous couvert d’un message féministe, on dit aux femmes qu’il est préférable pour leur carrière, et leur compétitivité, qu’elles se comportent comme des hommes et, insidieusement, on les encourage à repousser à plus tard le projet d’avoir des enfants. [...] Pourquoi la société qui emploie Rachel se priverait-elle d’elle pendant trois mois ? Ce n’est pas la parité juridique ou la parité des droits qu’on lui propose : c’est juste qu’il lui vaut mieux devenir un homme pour réussir."
De même, la réalisatrice explique comment chaque problématique sociétale est l'occasion de créer du profit : "Aux USA, ça ne s’arrête jamais : tout est une opportunité. L’intelligence artificielle risque de nous rendre un peu plus idiots ? C’est très bien ! On vendra plus de produits, les gens consommeront et cliqueront davantage."
Alors que les codes visuels de la science-fiction sont souvent très masculins (des lignes carrées, du métal et du béton, des tons froids), Sophie Barthes voulait développer une SF "féminine" avec des lignes rondes et des couleurs pastels, "avec un petit côté scandinave et japonais, et un aspect un peu rétro parce que la nostalgie peut vous vous faire aimer des choses sans que vous vous en rendiez compte." Elle s'est beaucoup inspirée des travaux de l'architecte Zaha Hadid, "qui a laissé d’incroyables architectures organiques avec des angles ronds." Elle ajoute : "Steve Jobs ne s’y est pas trompé en donnant un angle rond à son MacBook... Il a compris que le cerveau humain préférait le rond au carré parce qu’on ne trouve ni carré, ni angle droit dans la nature. Depuis des millions d’années, le cerveau humain est fait pour aimer la beauté de la nature".
Pour l’œuf - l’utérus artificiel - , le production designer Clément Price-Thomas a fait appel à un designer qui avait travaillé chez Porsche durant des années. "Cet œuf est un peu comme une voiture de luxe : un faire-valoir social qu’on a envie de posséder parce qu’il coûte cher. Il devait y avoir aussi en lui une histoire de séduction au sens latin du terme – détourner du droit chemin. On a du mal à lui résister, il est beau, on a envie de le voir, de le toucher... C’est un fétiche", déclare la réalisatrice.
Sophie Barthes n'avait jamais vu Game of Thrones avant de rencontrer Emilia Clarke. C'est l'agent de l'actrice, qui a adoré le scénario de The Pod Generation, qui a approché la réalisatrice. Celle-ci décrit la comédienne comme "déroutante, pleine de charme et de naïveté, et, en même temps, vulnérable. Emilia, qui a subi deux ruptures d’anévrisme, a failli mourir deux fois. On sent qu’elle a frôlé la mort et que, depuis, elle apprécie absolument tout dans la vie. C’est quelqu’un de totalement iconoclaste."
Quant à son partenaire de jeu Chiwetel Ejiofor, il s'est d'emblée impliqué : "Lui aussi adorait le scénario et jouer avec cet œuf l’amusait beaucoup. Il s’y est attaché au point que, parfois, il s’accrochait encore à lui alors que je disais « Coupez ! ». Il se trouve qu’il attendait son premier enfant durant le tournage et je pense que cela a beaucoup servi au film."
Française, Sophie Barthes est installée aux États-Unis depuis vingt-deux ans et est très préoccupée par la situation du pays : "Aux États-Unis, une place au théâtre coûte entre deux cent et quatre cent dollars, et il est devenu impossible de voir comme à Paris des petits films étrangers d’art et d’essai. L’accès à la culture n’est pas démocratisé comme en Europe. La culture, considérée comme «high culture » (musée, théâtre, opéra, cinéma), est devenue hors de prix depuis la pandémie. Il n’est pas très normal qu’une société ne comprenne pas que le développement de l’intériorité, de l’âme, que ce soit par la culture ou l’éducation, est intrinsèque au développement de l’être humain ; que l’altérité, l’arbitraire, l’inconfort intellectuel parfois, sont importants. L’Amérique est en pleine « netflixisation» de la culture."