Le manageur d’Alban Ivanov, dont Varante Soudjian est proche, a raconté à ce dernier que son oncle emmenait parfois des jeunes défavorisés en mer. Une anecdote qui a immédiatement séduit le réalisateur :
"Avec mon co-auteur, on a commencé à imaginer deux éducateurs de banlieue qui emmèneraient des enfants déscolarisés, dont certains ont déjà un pied dans la délinquance, pour un voyage sur un catamaran."
"Ça nous amusait de les extraire de leur milieu et voir comment les ados réagissent au spectacle de la mer une fois que le masque tombe. Quand on a introduit l’idée d’un skippeur ancien flic de la BAC on a trouvé le film."
Alban Ivanov a joué dans les deux premiers films mis en scène par Varante Soudjian : Walter et Inséparables. Le cinéaste confie : "On se connaissait déjà avant le premier long métrage. Mais au-delà de l’amitié, j’avais envie de retravailler avec lui. Alban est très drôle, c’est un secret pour personne, mais je l’ai pas choisi pour ce talent-là. C’est surtout un acteur."
"Et je l’ai aussi choisi pour son investissement, la façon dont il incarne ses personnages. Et son capital sympathie aussi, car on peut lui faire dire des horreurs et on lui pardonne tout. Plus il avance, plus il s’épaissit. Quand il est extravagant, il est super. Mais pour La Traversée, on a fait le pari de l’amener à un jeu beaucoup plus intérieur."
Varante Soudjian explique à quel point un tournage en mer est compliqué : "La météo est déjà une contrainte quand on tourne sur la terre ferme en extérieur. Mais en mer, c’est elle qui décide de tout. On ne peut pas être plus de vingt sur le catamaran.
"En fonction des jours, il y a huit comédiens, le skipper, et une équipe réduite : chef opérateur, cadreur, premier assistant, script, ingénieur du son, perchman et quatre autres techniciens pour les deux caméras utilisées."
"Sur les deux postes restants disponibles, on doit choisir entre un électro, un machino, l’habilleuse et la maquilleuse. Bien qu’on tourne en équipe réduite, on se marche dessus. On perd l’équilibre à cause des vagues."
"Avec le vent, on ne s’entend pas à deux mètres alors que je dois donner les indications de déplacements, de mise en scène. Il faut aussi faire en sorte que la caméra reste stable pour que le spectateur n’ait pas le mal de mer."
La Traversée a été tourné dans la baie de Marseille, en plein été. Varante Soudjian se rappelle : "Avec les vacanciers, les jets ski, les musiques sur les bateaux... Pour l’ingénieur du son, c’est l’enfer ! Il doit aussi gérer le sifflement du vent, le claquement des vagues, et le cri des mouettes alors qu’en pleine mer où est censée se passer l’action, il n’y en a pas."
"Pour la caméra, vu que notre histoire se déroule au large, il faut éviter d’avoir les côtes dans le champ. Durant la période de prépa, on avait envisagé le pire, on était prêts à affronter les aléas de la mer, et pourtant c’était pire que ce qu’on avait imaginé !"
Varante Soudjian a tenu à tourner en décors naturels et, compte tenu de l'indisponibilité du directeur de la photographie Morgan S. Dalibert (avec qui il a travaillé sur Inséparables et Walter), a dû en trouver un autre : "J’ai découvert le travail de Cyril Bron sur une série. Avec ses choix d’optique et d’exposition, Cyril arrive à capter de belles images, tout en sublimant leur côté authentique en effet. J’adore le travail qu’il a fait. Sobre et élégant", se souvient-il.
Alban Ivanov est très présent en 2022, avec quatre films supplémentaires en plus de La Traversée : Les Gagnants, Les SEGPA, Le Médecin imaginaire et Les Folies fermières.
Pour la musique, Varante Soudjian voulait qu'elle soit à la fois légère et mélancolique, mais pas de manière académique avec un compositeur aguerri. Le réalisateur précise : "J’imaginais une musique électro. Il se trouve que j’aime beaucoup Isaac Delusion, le groupe dont Loïc Fleury est membre. Je lui ai proposé de composer la bande originale du film."
"En travaillant sur le film, il y a une séquence que je voulais traiter de manière radicalement différente pour la musique et je me suis tourné vers Stéphane Kronborg, avec qui j’avais déjà travaillé. Le contraste entre ces séquences apporte une autre richesse au film."
A l'origine, Varante Soudjian ne voulait pas caster Moncef Farfar (qui interprète Rayane) en raison de son âge (18 ans). Mais aux essais, le jeune homme a fait ses preuves et a tout de suite compris son personnage par rapport à la figure du père. Le cinéaste explique au sujet du reste du casting des ados :
"Pour le rôle de Léa (Lucie Charles-Alfred), au départ, on avait une autre actrice en tête. Mais la directrice de casting nous a montré ses essais pour un autre rôle, et on a été conquis. Elle est urbaine, extravertie, moderne, hyper créative. Elle a amené un souffle."
"Quant à Thilla Thiam (Sam), elle accompagnait une personne pour un casting et on lui a proposé de passer des essais. Elle a un naturel incroyable. Elle a dit oui pour expérimenter l’aventure d’un tournage, mais elle est déterminée à devenir avocate."
"Puis il y’a le duo, Mamari Diarra (Mahdi) et Enzo Lemartinet (Polo). Ils ne sont pas acteurs et ont accepté de relever le défi. Je trouve ça incroyablement courageux. Car on leur demandait beaucoup : être naturels, drôles, touchants."