Premier film mettant en scène François Pignon, « L’Emmerdeur » est un déjà un aboutissement. Parfaitement construit, le scénario est concis, dynamique et toujours capable de créer de nouvelles péripéties quand on croit celles-ci épuisées. Les dialogues sont un exemple de rigueur, de précision et d’efficacité. Mais ce qui emporte tout ici, c’est son duo vedette. En tueur à gages qu’il ne faut pas chatouiller, Lino Ventura est hilarant. En doux rêveur épuisant, Jacques Brel est formidable. Nombreuses sont les scènes où la prestation des acteurs donne une énorme plus-value au potentiel déjà existant. Francis Veber ne retrouvera plus tard un aussi bon antagonisme qu’avec Gérard Depardieu et Pierre Richard, puis Thierry Lhermitte et Jacques Villeret.
Derrière la caméra, Édouard Molinaro, qui connait la musique, gère parfaitement le rythme et ses effets même s’il n’échappe pas à quelques maladresses. Certains reflets malheureux nous montrent ainsi parfois les techniciens et la gestion du temps imposée par le scénario ne tient pas (certaines situations durent nécessairement bien plus longtemps que les quelques minutes évoquées). Par ailleurs, comme souvent chez Veber (et ce sera souvent le point faible de ses films), la fin est un peu expédiée. Rien de dramatique, bien entendu, tant le récit est original et enlevé, et la progression de la description des personnages particulièrement maîtrisée.
Comme souvent chez les bons Veber, on trouve à chaque nouveau visionnage des bons mots qui nous avaient échappés et on se réjouit de revoir des scènes pourtant connues par cœur. Le film ne vieillit pas, il se bonifie toujours. De par sa structure, ses personnages, ses thèmes (même s’ils sont exploités différemment), ses dialogues aussi, « L’Emmerdeur » se rapproche très fortement du « Dîner de cons » qui atteint, lui aussi, des sommets comiques. Je n’ai jamais vu le remake que Francis Veber a fait de ce quasi chef d’œuvre. C’est le seul film de Veber que je n’ai pas vu et que je n’ai pas envie de voir même par curiosité. Comme l’a admis lui-même le réalisateur après coup, « il y a certains cultes auxquels on ne peut pas toucher ». Celui-ci en est un, assurément.