Les formations journalistiques ont rarement donné lieu à des documentaires. Julien Meunier (II) et Sébastien Magnier se sont lancés dans ce projet en partant d'une réflexion sur l’importance du rôle des médias dans notre relation au monde. Le deux metteurs en scène expliquent : "Les journalistes, parce qu’ils tiennent un rôle d’intermédiaire, portent sur eux une immense responsabilité lorsqu’ils relaient l’information. Or, le poids de cette responsabilité n’apparaît pas toujours de façon claire et évidente lorsqu’on écoute, regarde ou lit les médias majoritaires en France."
"La hiérarchisation, la focalisation, la connaissance des sujets abordés, les sources, la déontologie sont autant de piliers, de lignes qui structurent cette pratique. La question de la formation m’est vite apparue fondamentale et le désir d’en savoir plus, d’aller questionner cette pratique en tant que documentariste, d’éclairer justement les fondations de ce métier nous a réunis Julien et moi et nous a semblé essentiel, particulièrement dans une période où la définition même du journalisme est mise au défi par internet, l’éclatement des rédactions et le « journalisme citoyen »."
"Nous nous sommes demandés : “qu’est-ce qu’un journaliste ?”. On a tendance à idéaliser le journaliste qui mène l’enquête pour le bien commun, jouant le rôle du contre-pouvoir et renforçant la démocratie. Mais dans les faits, on est souvent confronté à une pratique pauvre et décevante. C’est un métier à la fois considéré comme noble et pourtant peu aimé et souvent critiqué. On voulait savoir quelles représentations, quel imaginaire les écoles avaient à proposer aux étudiants dans ce contexte. Qu’est-ce qu’on dit, concrètement, à un jeune qui veut apprendre à devenir journaliste ?"
Les cinéastes ont fait le choix de filmer au plus près la question de la formation sans entrer dans l’intimité des étudiants dont le spectateur sait finalement peu de choses : "Nous avons fait ce choix dès les premières discussions relatives à la manière de traiter le sujet. Nous avions vraiment envie de fixer notre cadre sur le travail, le discours de l’école, l’apprentissage des codes du métier. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons choisi le CFJ qui est une école « professionnalisante » où les professeurs sont des intervenants, journalistes en activité."
"Il y a une dimension d’apprentissage pratique très forte dans cette formation. Très vite, elle nous est apparue comme un entraînement sportif, avec tout ce que cela évoque : l’effort, le rapport au corps, la répétition, la performance… Ça devenait plus intéressant de travailler sur ce lien très concret, très physique à la formation. Les protagonistes du films sont d’abord des présences à l’image, ils font quelque chose, ils travaillent. Nous n’avions pas envie de fabriquer des histoires ou des psychologies à partir de ça", raconte Sébastien Magnier.
Le CFJ est fondé en juillet 1946, par Philippe Viannay et Jacques Richet, anciens résistants. Il est reconnu par l’État au titre d’établissement d’enseignement technique supérieur en 1962. Aujourd’hui, le CFJ est une des trois écoles de journalisme les plus réputées en France, son budget de fonctionnement est en grande partie financé par une taxe d’apprentissage versée par les grands groupes de médias. L’école accueille chaque année deux promotions (une quarantaine d’élèves par promotion).
Les cours sont dispensés uniquement par des journalistes, tous en activité dans de grands médias nationaux. Ils forment les étudiants au métier tel qu’il est pratiqué aujourd’hui et en fonction du marché du travail. Ils sont également là pour repérer les meilleurs éléments. À l'issue de leurs deux années de cursus à l'école, 95% des apprentis et plus de 80% des étudiants diplômés du CFJ travailleront dans un média, en CDD ou CDI.
En formation est tourné en huis clos, jusqu’à son dernier tiers qui vient bousculer les systèmes et les principes narratifs en place jusque-là. Sébastien Magnier précise : "En réalité, nous n’avons pas filmé qu’à l’intérieur de l’école. Nous avons régulièrement accompagné les étudiants lorsqu’ils sortaient pour traiter des sujets. A la fin du tournage en 2016, il nous a semblé évident que nous ne pouvions pas utiliser cette séquence autour des attentats de novembre 2015 comme n’importe quelle autre. Ce moment a chamboulé tout le monde à l’école et nous en avons mesuré les effets sur les jeunes."
"Nous nous sommes rendus compte que ça resterait probablement, pour la plupart, profondément ancré dans leur pratique du métier. Et que nous avions besoin de la libération de leur parole à ce moment-là pour établir un contrepoint entre action et réflexion. Ce dialogue sur le sens de leur métier, nous ne l’avions jamais vu dans la salle de classe avant novembre 2015. C’est à ce moment-là que l’idée véritable du film nous est apparue, ça justifiait d’établir un peu plus clairement cette distance entre l’intérieur vu comme un lieu de gestation et d’entre soi, et l’extérieur comme lieu matriciel de leur futur métier."