Ailleurs, partout : les secrets du tournage

Les réalisatrices Vivianne Perelmuter et Isabelle Ingold ont rencontré Shahin, un jeune réfugié iranien, en Grèce en 2016, alors qu’il avait 16 ans. Elles sont restées en contact avec lui par texto et chat, jusqu’à le revoir un an et demi plus tard en Angleterre. Elles ont été frappées de son changement radical : d’un jeune homme confiant et joyeux, « il était devenu sombre, éteint même, et à la fois en colère, se méfiant de tout et de tout le monde. Alors, il restait cloîtré dans sa chambre, coupé du monde mais l’observant sur internet, des nuits entières. » Interloquées, les réalisatrices ont décidé de comprendre cette transformation : « Qu’est-ce qui s’était passé ? Le pire nous semblait pourtant derrière lui. Quoi alors ? Y-a-t-il un seuil d’épreuves au-delà duquel on est défait ? Ou bien quelque chose de précis l’avait-il intimement entamé ? »

Le film accorde une place centrale au hors champ. On ne voit que ce que Shahin observe sur son écran d’ordinateur mais pas celui ou celles qui parlent, ni ce dont ils /elles parlent. Vivianne Perelmuter explique : « Ce parti pris s’ancre dans la situation concrète de Shahin en Angleterre, mais répond également au désir de placer le spectateur hors de ses processus habituels de reconnaissance. C’était l’un des enjeux de ce projet : saisir et convoquer autrement les spectateurs, les impliquer dans une relation intime. » Ailleurs, partout multiplie ainsi les données sonores pour troubler la faculté de voir du spectateur et le désorienter, à l’instar de ce que traverse Shahin. Les réalisatrices se sont appuyées sur des éléments concrets et quotidiens, en écartant tout discours, message ou jugement.

Ailleurs, partout emploie des images de caméra de surveillance. Les réalisatrices ont d’abord collecté une grande part de la matière sonore puis se sont mises à chercher des images qui pourraient entretenir un lien avec cette matière. Elles ont réuni les images parallèlement au montage pendant presque un an. Isabelle Ingold détaille le processus : « On avait une idée de séquence, on allait sur le net avec des envies précises, et puis le hasard, quelque chose qu’on ne cherchait pas, générait une autre idée, orientait autrement le montage, le faisant même bifurquer parfois. C’était pratiquement un montage et un « tournage » permanent. » Même si elles ne tenaient pas la caméra, les réalisatrices ont effectué un travail de repérages puisque la grande majorité des images provient de live webcams, diffusées en temps réel sur le net : « On observait le rituel des gens, les heures où les lieux s’animaient, celles où ils étaient déserts. On revenait sur les mêmes lieux, à différents moments de la journée, sous différentes lumières ou saisons. »