Oppenheimer : les secrets du tournage

Oppenheimer a obtenu 7 BAFTA, 5 Golden Globes et 7 Oscars, dont ceux du meilleur acteur pour Cillian Murphy, de la meilleure réalisation et du meilleur film.

Oppenheimer est basé sur la biographie American Prometheus: The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer écrite par Kai Bird et Martin J. Sherwin et récompensée d’un prix Pulitzer. Christopher Nolan explique : "Je voulais plonger le spectateur dans l’esprit et la vie d’un être qui s’est retrouvé à l’épicentre des plus grandes mutations de l’histoire. Qu’on le veuille ou non, J. Robert Oppenheimer est la personne la plus importante qui ait jamais vécu. Il a façonné le monde dans lequel nous vivons, pour le meilleur et pour le pire. Et il faut se plonger dans son parcours pour y croire."

Cillian Murphy se glisse dans le costume de Robert Oppenheimer, figure historique majeure, considéré comme le père de l'arme nucléaire : "J'ai toujours dit à Chris Nolan, en public et en privé, que si j'étais disponible et qu'il me voulait dans un film, je répondrais toujours présent. Peu importe l'importance du rôle. Cependant, au fond de moi, secrètement, je mourais d'envie de jouer un rôle principal pour lui."

"Il est tellement modeste et plein d'autodérision et, à sa manière très anglaise, il m'a simplement dit : Écoute, j'ai écrit ce scénario qui parle d'Oppenheimer. J'aimerais que tu sois mon Oppenheimer. C'était une formidable journée. Il m'a semblé que c'était le bon moment pour endosser une telle responsabilité. Et il se trouve que celle-ci était vraiment considérable", explique l'acteur, en poursuivant :

"C'est beaucoup de pression. Le personnage était complexe, contradictoire et tellement emblématique. Mais je savais que je travaillais avec l'un des plus grands réalisateurs de tous les temps. Je me suis sentie en confiance avec Chris Nolan. Il a eu un impact profond sur ma vie, tant sur le plan créatif que professionnel. Il m'a proposé des rôles très intéressants et je les ai tous trouvés très stimulants."

Oppenheimer possède un budget de 100 millions de dollars. Il s'agit toutefois de l'un des films les moins chers de Christopher Nolan, puisque Tenet avait coûté 205 millions de dollars, Dunkerque 100 millions, Interstellar 165, The Dark Knight Rises 250 millions, Inception 160 millions, The Dark Knight 185 millions, Le Prestige 40 millions, Batman Begins 150 millions, Insomnia 46 millions, Memento 9 millions et The Following 6 000 dollars.

A noter que Matt Damon, Emily Blunt et Robert Downey Jr., qui habituellement prennent un cachet compris entre 10 et 20 millions de dollars par film, ont accepté un salaire de quatre millions chacun pour jouer dans Oppenheimer. Il s'agit de l'une des raisons principales expliquant ce "faible" budget, l'autre étant probablement la volonté de Nolan de limiter au maximum les trucages numériques (en témoigne la réalisation de la scène de l'essai nucléaire).

Avec Oppenheimer, Christopher Nolan retrouve Cillian Murphy, l'un des ses acteurs fétiches. Il a ainsi dirigé la star de Peaky Blinders dans la trilogie The Dark Knight, Inception et Dunkerque. Par ailleurs, le metteur en scène collabore à nouveau également avec Matt Damon après Interstellar et Kenneth Branagh après Dunkerque et Tenet.

Christopher Nolan s'était déjà intéressé à la Seconde Guerre mondiale avec Dunkerque, sorti en 2017.

Le film contient des séquences IMAX tournées en noir et blanc et des images d'une explosion nucléaire que Christopher Nolan est parvenu à recréer sans avoir recours aux effets numériques. Il s'agit ainsi du premier long métrage en noir et blanc à bénéficier de la technologie IMAX.

Christopher Nolan explique au sujet de l'un des principaux défis techniques du film : "Recréer Trinity [nom de code du premier essai d'une arme nucléaire, réalisé le 16 juillet 1945 au Nouveau-Mexique, ndlr] sans faire appel à des infographies était un énorme défi à relever. Andrew Jackson - mon superviseur des effets visuels, que j'ai engagé très tôt - a étudié les manières dont nous pouvions réaliser une grande partie des éléments visuels du film de façon pratique."

"De la représentation de la dynamique et de la physique quantique au test Trinity en lui-même, en passant par la recréation, avec mon équipe, de Los Alamos [lieu où a eu lieu l'essai, ndlr] sur un mésa du Nouveau-Mexique par un temps merveilleux (...), il y a eu beaucoup de défis d'ordre pratique."

La chef-décoratrice Ruth De Jong s’est immergée dans les recherches pendant plusieurs semaines pour mettre au point une esthétique qui soit authentique sans pour autant coller servilement à l’époque. Christopher Nolan l'a poussée à ne pas s’attarder sur d’infimes détails et à aller vers un certain modernisme : les voitures, téléphones ou autres inventions technologiques n’appartenaient pas forcément à l’époque où se situe l’intrigue.

Un choix qui correspondait bien à l’histoire d’un homme qui se projette constamment dans le futur, racontée de son point de vue. "Chris me répétait sans cesse 'Ruth, je ne cherche pas à faire un documentaire didactique'. Cela me faisait du bien d’entendre ça parce que j’étais totalement plongée dans la documentation. Notre méthode consistait surtout à découvrir la réalité d’un décor, à en comprendre les fondements, puis à s’affranchir de sa représentation pour se consacrer au film."

Christopher Nolan a engagé de vrais scientifiques pour jouer les figurants : "Nous avions besoin que la foule réagisse et improvise et ils ont fini par nous donner des discours très concrets sur le moment. C'était très amusant de les écouter. Nous avons tous été sur un tournage avec une bande de figurants et ils pensaient tous plus ou moins à la pause déjeuner."

"Mais ces gars-là réfléchissaient aux implications géopolitiques des armes nucléaires et ils en savaient beaucoup sur le sujet. C'était en fait un excellent rappel de ce que nous devons faire : rester concentrés, rester fidèles à l'histoire et savoir ce que nous faisons."

C’est la quatrième fois que Christopher Nolan collabore avec le directeur de la photographie Hoyte van Hoytema, qui a signé la lumière d’Interstellar, Tenet et Dunkerque. Il confie : "Le plus difficile avec Oppenheimer, c’est que le film se distingue radicalement des autres projets de Chris auxquels j’ai collaboré. Dans Interstellar, Tenet et Dunquerque, on mettait l’accent sur l’action. Oppenheimer relève davantage du thriller psychologique et s’attache aux visages des personnages."

Nolan ajoute : "Le style visuel que Hoyte et moi avons choisi pour ce film était à la fois très simple et très puissant. Il n’y a pas de barrière entre l’univers du film et le spectateur, et pas d’effet de stylisation en dehors des scènes en noir et blanc. Mais pour les scènes en couleurs en particulier, on voulait une lumière très simple, sans fioriture, aussi naturelle que possible, capable de mettre en valeur les matières. Qu’il s’agisse des costumes, des décors ou des lieux de tournage, on recherchait le réalisme et les détails."

Oppenheimer dure précisément 3 heures et 9 secondes. Il s'agit du film le plus long de Christopher Nolan, pourtant déjà habitué aux œuvres de plus de 2h30 puisque Interstellar durait 2h49, The Dark Knight affichait 2h32 au compteur et Tenet nous tenait en haleine pendant 2h30.

Oppenheimer a été exclusivement tourné avec des caméras grand format – des Panavision 65mm et des IMAX 65mm. "Les objectifs grand format vous donnent avant tout une incroyable netteté. C’est un format qui permet au spectateur de s’immerger totalement dans l’histoire et l’univers dans lequel vous le transportez."

"Oppenheimer est un récit d’une envergure et d’une ampleur hors du commun. Mais je tenais malgré tout à ce que le spectateur soit transporté dans les bâtiments où les événements les plus importants ont eu lieu, comme s’il y était et qu’il discutait avec ces scientifiques dans ces moments cruciaux", raconte Christopher Nolan.

Oppenheimer a été classé R aux États-Unis (interdit aux moins de 17 ans non-accompagnés par un adulte), pour des questions relatives à la sexualité et à la nudité. Pour Christopher Nolan, il s'agit d'une grande première depuis 2002 et Insomnia, car tous ses opus suivants avaient été classés PG-13 (déconseillés aux moins de 13 ans et soumis à un accord parental).

Christopher Nolan a envisagé de tourner sur les lieux mêmes de Los Alamos où certaines constructions du Projet Manhattan ont été préservées intactes. Mais le site actuel ne correspond plus au Los Alamos du Projet Manhattan : il y a désormais des bâtiments modernes, dont un Starbucks, qu’il aurait été trop difficile ou trop coûteux de ne pas cadrer ou d’effacer grâce aux technologies numériques.

Ruth De Jong a mis au point une reconstitution minutieuse de Los Alamos qui a ensuite été transformée en maquette 3D. Celle-ci occupait tellement de place qu’elle a dû être stockée dans la cour du bureau de production. Puis, elle a été ramenée à une dimension plus modeste lorsque les producteurs ont compris que la construction d’un décor de Los Alamos grandeur nature (intérieurs et extérieurs) serait prohibitive.

Alors que les auteurs changeaient de plan, une nouvelle stratégie s’est imposée : les extérieurs de Los Alamos allaient être construits à Ghost Ranch, refuge de 8 500 m2 dans le nord du Nouveau-Mexique, et la plupart des intérieurs allaient être tournés sur les lieux mêmes de Los Alamos. Un parti-pris stimulant pour les acteurs car il leur permettait de tourner plusieurs scènes là même où les Oppenheimer ont vécu.

Au casting, nous retrouverons Matt Damon et Josh Hartnett, deux acteurs ayant chacun joué dans un film marquant sur la Seconde Guerre mondiale : Il faut sauver le soldat Ryan pour le premier et Pearl Harbor pour le second.

Pour les costumes de Cillian Murphy, Ellen Mirojnick souhaitait montrer que son raffinement s’exprimait nettement dans sa garde-robe. Son style s’affirme à travers les nuances de bleus de ses chemises qui mettent en valeur ses yeux d’un bleu perçant. Oppenheimer a conservé la même silhouette toute sa vie.

La chef-costumière, grâce à ses recherches, a découvert que son poid était le seul paramètre qui affectait sa physionomie : celle-ci semblait "plus imposante à l’époque de l’explosion de la bombe et de ses conséquences. Son style, cependant, est demeuré inchangé", confie-t-elle.

Par ailleurs, le chapeau était un élément central dans l’allure d’Oppenheimer. La chef-costumière a contacté des chapeliers à New York et en Italie pour concevoir une réplique de la célèbre forme du chapeau, mais c’est Baron Hats, légendaire chapelier hollywoodien, qui a fabriqué le couvre-chef.

A noter l'apparition furtive d'Albert Einstein, incarné dans le film par Tom Conti.

Si l'option des images de synthèse s'impose d'emblée, c'est mal connaître Christopher Nolan, devenu célèbre, entre autres, pour sa volonté de limiter au maximum les trucages numériques. Ce qu'il nous confirme ici : "J'ai demandé à mes équipes d'effets spéciaux de chercher des méthodes qui nous permettraient de filmer quelque chose de réel, de tangible."

Dans une interview donnée à Total Film, le superviseur des effets spéciaux Scott R. Fisher précise avoir eu recours à la technique de la perspective forcée, qui permet de simuler des différences de taille entre des objets ou des personnages intervenant dans une même scène.

Nolan n'a pas employé des miniatures mais des maquettes aussi grandes que possible, tout en restant dans des proportions raisonnables : plus ces éléments étaient proches de la caméra, plus ils paraissaient grands et favorisaient l'impact recherché par le cinéaste et ses équipes. Mais ce n'était que l'une des parties du challenge. La plus facile même.

Car il a ensuite fallu reproduire l'explosion elle-même, sans aller jusqu'à utiliser une vraie arme nucléaire. Et celle-ci a été réalisée avec un mélange d'essence et de propane, dont l'association permet un aspect pyrotechnique massif, associés à de la poudre d'aluminium et du magnésium, afin de faire naître ce flash aveuglant typique d'un engin de la sorte.

Un mélange d'expériences à grande échelle et de petits détails, selon Nolan lui-même, destiné à laisser une impression durable chez le spectateur tout en lui donnant l'impression de vivre ce qu'Oppenheimer et son entourage avaient vécu pendant le test Trinity. En allant jusqu'à reproduire le fameux champignon typique d'une bombe nucléaire.

Dans une interview donnée à Empire, le réalisateur révèle que ses équipes ont photgraphié une explosion de TNT sous toutes ses facettes pour faire du compositing (fusion de sources d’images en un plan unique) et ajouter des couches à la déflagration crée pour les besoins du film.

La fille de Christopher Nolan, Flora Nolan, fait une apparition dans Oppenheimer. Elle incarne une femme qui se fait brûler le visage dans une vision. Elle était déjà apparue furtivement dans Interstellar et Tenet.

L'avant-première de Oppenheimer à Londres a été avancée d'une heure pour que la distribution puisse s'y rendre et assurer les derniers instants de promotion avant que l'annonce fatale et définitive de la grève de la SAG-AFTRA ne soit faite. Après avoir donné quelques interviews sur le tapis rouge, le casting du film a quitté l'avant-première et n'était pas présent aux côtés du réalisateur lors de la présentation de la projection. Christopher Nolan a expliqué au public que les acteurs sont partis préparer leurs pancartes pour rejoindre la grève.