Quand Samuel M. Delgado et Helena Girón tournent un film, ils essayent d’oublier leurs références et de ne rien faire qui les rappelle explicitement. Ils précisent cependant : "Cependant, des images ou des atmosphères qui nous ont marqués vont inévitablement affleurer. C’est pareil avec les recherches : pendant la préparation du film, on lit des tonnes et des tonnes de choses, mais ensuite, on travaille seulement à partir de ce qu’on a retenu, de ce qui nous a touchés, afin de construire un univers sensible, loin de l’encyclopédique et de l’informatif."
"Le tournage principal a duré quatre semaines, deux en Galice et deux aux Canaries. C’était peu, étant donné le projet, mais c’était notre réalité matérielle. Pour compenser, on a passé plus de temps en préparation, pour chacun des tournages, afin d’être le plus prêts possible. C’est aussi la première fois qu’on a travaillé avec un assistant-réalisateur, Oscar Santamaría, qui a été précieux pour garder la maîtrise du tournage malgré ce calendrier serré."
Samuel M. Delgado et Helena Girón ont fait le choix de sélectionner des acteurs non-professionnels qui s’expriment en galicien. "Cette langue est une des langues co-officielles de l’Etat espagnol, elle appartient à la même famille linguistique que le portugais et renvoie à la tradition orale médiévale. Elle était très répandue dans la péninsule ibérique à l’époque. La musicalité, la cadence et le rythme du galicien enrichissent les dialogues, non seulement d’un point de vue dramatique, mais aussi d’un point de vue musical", racontent-ils.
Samuel M. Delgado et Helena Girón essayent toujours d’être les plus autonomes possible. Pour leur court métrage Sin Dios ni Santa María, les cinéastes étaient seuls et à pied, puisqu’ils n’avaient pas le permis de conduire : "Cela se sent dans la dynamique et la forme du film. On a beaucoup appris grâce aux contraintes. Par la suite, nos collaborations sont nées au fur et à mesure, au gré des besoins spécifiques à chaque film, jusqu’à cette équipe relativement conséquente pour Un corps sous la lave."
"On a la chance de travailler avec des amis de longue date : Silvia Navarro, la directrice artistique, ou José Alayón, le producteur de El Viaje Films et directeur photo de Un corps…, nous accompagnent depuis le début, et nous voyons le cinéma de façon si semblable que c’est très facile de travailler ensemble. Cela vaut pour beaucoup d’autres membres de l’équipe."
Un corps sous la lave a été tourné en pellicule. Il s'agit de l'un des signes distinctifs de Samuel M. Delgado et Helena Girón : "En fait, c’est la première fois qu’on n’était pas derrière la caméra. Ça s’est décidé après notre court métrage Plus Ultra, parce qu’on s’est rendu compte que pour une mise en scène de fiction, José serait meilleur, et que cela nous laisserait plus de temps avec les acteurs, avec qui on est moins rodés. On aime la contrainte de la pellicule, parce que cela nous évite d’accumuler trop de prises de vues sans intention. En parallèle du tournage principal, on a tourné certaines parties, comme celle des tombeaux, avec notre Bolex, et on a fait le développement manuellement dans notre labo."
Samuel M. Delgado et Helena Girón s'étaient déjà documentés sur l'histoire des Canaries (et la façon dont elles ont constitué un terrain d’expérimentation pour l'exploitation coloniale avant la "découverte"), à l'occasion de leur film précédent, Plus Ultra. Ils confient : "Les îles Canaries ont été un marchepied vers la conquête du « Nouveau Monde », une enclave géostratégique majeure durant la colonisation de l’autre côté de l’Atlantique. À l’époque où se déroule le film, l’archipel n’avait pas encore été entièrement conquis. L’île de Tenerife, par exemple, a opposé une très forte résistance à la colonisation, ainsi dans certains des lieux où nous avons tourné, comme le massif d’Anaga qui fut un grand foyer de résistance guanche."
"D’autres régions ont constitué un laboratoire des stratégies de terreur et de domination que les colons ont ensuite exportées à l’autre bout du monde : médiation intéressée entre les populations indigènes en conflit, évangélisation forcée, propagation de maladies infectieuses, violences sexuelles, processus d’assimilation et d’acculturation, etc. C’est sur ces îles que furent construites les premières usines sucrières, ou que s’élevèrent les premières villes coloniales, telle La Laguna sur l’île de Tenerife."