Voici une œuvre qu’on aimera autant pour ses puissantes qualités que pour ses menus défauts. Les premières sont celles d’un directeur d’acteur, Loïc Paillard qui possède le sens du Caractère : il campe ses personnages comme un maître en théâtre ou littérature, choisissant ses comédiens, captant leur essence, mais surtout en sachant la pousser, la bousculer, la faire mener jusqu’aux limites où leur cristal commence à vibrer. On lui en veut presque de se retenir, ne pas oser aller plus loin, car pour Les Lendemains de Veille, il a réuni une sacrée équipe d’authentiques talents. Et que leur sang nouveau continue à nous enchanter ! Ils nous offrent des alternatives aux éternels bankable de service, chargés de drainer des budgets, convaincre des distributeurs, s’assujettir à une chaîne de servitude qui, hélas, n’aboutit parfois qu’à fabriquer de redoutables navets. Ici au contraire, nous sommes au cœur de la genèse d’une génération d’actrices et d’acteurs qui n’ont d’illusion que celle dont ils peuvent assurer la force et la pérennité : l’amitié. Valeur refuge, diront les grincheux sociologues de la modernité… peut-être, mais pas seulement. Car on devine au cœur de cette Belle Équipe un cocktail joliment non conforme ; comme si la candeur originelle, nécessaire à la passion du métier, ne devait jamais être abandonnée. Comme si Brel, depuis sa génération, leur dédiait sa chanson Les Bourgeois. En réalité comme si ce film était celui de leur vie et venait crier à l’écran : même sous les feux de la scène, ne nous oublions jamais !
Tout cela, chacun le porte avec justesse : François Pouron (Vincent) et Lucile Krier (Malo), lui en vedette génialement désabusée ; elle, comme toujours, fidèle malgré son enfant, aux affres de l’éternel choix en amour : entrer dans la vie ou la sublimer. Denis Eyriey (Xavier) infiniment bien placé dans son agonie aux pieds de l’affairisme. Valerian Behar Bonnet (Mateo) remarquable vagabond libre et hâbleur à souhait. Marica Soyer (Lola), très juste résistante au poids d’un fardeau œdipien, dont s’arrache son futur et bientôt ex-fiancé, Sylvain Mossot (Romain). Étienne Beydon (Blaise) et Bérénice Coudy (Anne Sophie), tous deux interprétant avec brio Le couple surinvesti dans Le Projet Enfant, mais sous emprise de la grande désillusion postnatale, lui déjà si endurant, elle aux portes d’un tsunami de dérision. Natacha Krief (Cleo) qui débarque joliment sa fraîcheur ingénue au milieu de cette équipe.
Tous rassemblés autour de Pierrot, l'Arlésienne qui par testament force aux retrouvailles, et à répondre à la question : qui sommes-nous si, pour réussir nos vies, nous abandonnons l’étincelle fondatrice de nos jeunesses, ici rassemblées dans cette maison, il y a dix ans ? Cruelle interrogation qui se déroule sous le regard acerbe et désenchanté du “vieux de la vieille”, Pascal Elso qui nous place ici un Didier calé aux “petits oignons”, dernier témoin vivant de la vie de Pierrot.
Les émotions sont finement captées, les traits d’humour légèrement amenés, la musique originale comme extraite de l’ambiance, les dialogues émanant de personnages fort justes, tant d’ailleurs, qu’on ressent le film trop court pour en explorer les caractères et les enjeux. Et toute cette authenticité nous transporte dans une émotion qui nous fait pardonner les rares imprécisions de scénario ou de montage. C'est ici le chemin de confirmation d’un réalisateur qui sait que le talent n’est rien s’il n’est pétri et rehaussé à force de travail, il suffit pour s’en convaincre de regarder les premiers films de bien des Grands.
Les Lendemains de veille sont la marque d’une génération qui nous oblige à examiner l’essentiel, l’idée d’un collectif retrouvé, pas seulement fêtard – dans son sens réducteur – mais puisant dans la fête la ressource pour un “créer ensemble”. Autant dire que l’œuvre, d’un cri , interroge ce monde, et nous suggère d’en faire autant ; c'est heureux.