Le projet est né lorsque İlker Çatak était en vacances avec Johannes Duncker, son co-scénariste et ami d’enfance. Les deux hommes se racontaient des histoires de vol que des personnes de leur entourage avaient vécues. Le metteur en scène se rappelle : "Il me disait que sa sœur, qui est professeur de mathématiques, avait été confrontée à un vol dans son école. En discutant, nous nous sommes souvenus que quand nous étions petits, deux garçons profitaient de l’absence d’autres élèves pour aller voler dans leurs affaires. Tout le monde le savait, mais personne ne voulait « être une balance »."
"Et un jour, en cours de physique, trois professeurs arrivent en classe et disent « Toutes les filles sortez. Les garçons : mettez vos porte-monnaie sur la table ! ». On s’est dit tous les deux que ça pouvait initier une histoire intéressante."
Pour se documenter, İlker Çatak s'est rendu dans son ancien collège à Berlin où le principal, qui se souvenait de lui, a accueilli le réalisateur à bras ouverts : "Malheureusement, nous n’avons pas pu tourner dans l’école, mais il nous a accompagnés pendant toute l’écriture, ainsi que beaucoup de personnes spécialisées dans l’éducation comme des professeurs, des psychologues scolaires... Ils nous ont partagé quelques méthodes que nous avons reprises dans le film", confie-t-il.
Le producteur Ingo Fliess a encouragé İlker Çatak et Johannes Duncker à développer une histoire autour de cette idée de vol dans une salle des profs : "Nous sommes partis écrire, une semaine, à trois ou quatre reprises, dans une maison en pleine forêt. Dans cet environnement propice à la concentration, nous avons beaucoup échangé et réfléchi sur ce à quoi devait ressembler le film, et ce qu’il devait nous faire ressentir, mais aussi ce dont nous voulions parler, quelles questions sociales nous souhaitions aborder. Toutes ces idées, à notre retour, se sont retrouvées dans ce scénario", se souvient le cinéaste.
La Salle des profs concourt aux Oscars 2024 dans la catégorie Meilleur film international, aux côtés de Moi, capitaine, Perfect Days, Le Cercle des neiges et La Zone d'intérêt.
Leonie Benesch incarne le personnage principal de La Salle des profs. İlker Çatak note : "Lors de l’écriture, nous avions un mur rempli de photos d’acteurs. Celle de Leonie Benesch y figurait depuis le début. J’ai toujours imaginé le film avec Leonie parce que j’appréciais son travail depuis des années. Même si nous avons fait passer d’autres essais, j’ai très vite compris qu’elle était 'ma' Carla Nowak. Elle est exactement ce que le public perçoit d’elle dans le film. Nous n’avons délibérément pas montré sa vie privée."
"Ni la voiture qu’elle conduit, ni l’endroit où elle vit, ni son petit ami – si elle en a un. Ces éléments n’ont aucun intérêt. Il y a évidemment eu des discussions en amont, car certaines personnes voulaient en savoir plus sur elle. Mais je n’ai jamais dévié de ma conviction. Le caractère d’une personne finit toujours par se révéler au moment de prendre des décisions difficiles, quand elle est sous stress ou qu’elle doit gérer des problèmes. C’est en partant de ce principe que j’ai confié le personnage à Leonie."
"J’ai rarement eu à communiquer aussi peu avec une actrice sur un plateau. Sa première proposition était toujours si juste que je n’ai pratiquement pas eu à la corrige."
Tous les matins sur le tournage, İlker Çatak avait pour habitude de parler avec les enfants pendant trois quarts d'heure, pour évoquer toutes sortes de choses : leurs rêves, leurs peurs, les questions d’identité, la honte, etc. "Je voulais désamorcer la pression inhérente à un tournage, pour que tout le monde se sente libre sur le plateau. Pendant nos conversations, toute l’équipe attendait et Judith Kaufmann, notre directrice de la photographie, s’impatientait car on perdait de la lumière du jour, qui est très précieuse lors d’un tournage en novembre…", confie le metteur en scène. Il ajoute :
"Mais ces moments privilégiés ont permis une plus grande liberté sur le plateau, et nous ont fait gagner du temps car il ne nous fallait plus que quelques prises pour atteindre notre objectif."
L’objectif pour İlker Çatak était de constituer une classe de 5ème. Le réalisateur recherchait des enfants âgés de onze à quatorze ans. Cette tranche d’âge se caractérise par le fait que certains enfants sont très avancés, d’autres plus rêveurs : "J’ai voulu voir beaucoup d’enfants pour me faire une idée de ce qu’était une classe à cet âge-là. Nous proposions aux enfants d’improviser par groupe de quatre ou cinq."
"Cet exercice nous a permis de voir qui sortait du lot. Une fois que nous avons choisi tous les membres de la classe, j’ai fait en sorte de créer une cohésion entre eux, de les rendre attentifs à ce qui se passait sur le plateau, à ce qui arrivait aux autres… Et surtout, je leur ai expliqué le concept de collègues de travail et la notion de solidarité qui sont capitaux dans le cadre d’un tournage", précise le réalisateur.
Pour le personnage de Thomas Liebenwerda, İlker Çatak a pensé qu’il serait intéressant de confier ce rôle à une personne de couleur, pour montrer à quel point l'accuser de racisme est absurde. Il confie : "Mais nous vivons une époque absurde et, d’une certaine manière, le film était aussi une tentative de dépeindre cette confusion. Rafael Stachowiak a été choisi parce que je voulais un acteur qui parle polonais. L’idée des origines polonaises de Carla Nowak m’est venue parce qu’une de mes collègues turques me répondait constamment en allemand lorsque je m’adressais à elle dans notre langue."
"Je comprends que l’on ne parle pas une langue étrangère quand il y a plusieurs personnes dans la pièce, car c’est impoli. Mais cela dit aussi quelque chose de l’assimilation de l’immigré, de sa volonté de ne pas se faire remarquer. Eva Löbau, que l’on peut voir dans le rôle de la secrétaire de l’école, est incroyablement fragile et drôle à la fois. Je pourrais la regarder jouer toute la journée."