Après trois documentaires très urbains (Nous le peuple, Les Règles du jeu, Les Arrivants), Claudine Bories et Patrice Chagnard ont radicalement changé de registre avec Vedette. Le premier explique : "Les combats nous ont surtout servi de prétexte. C’est l’accroche de notre film, son point de départ. On s’est intéressés à ces vaches parce que ce sont des combattantes, parce que ce sont des reines, mais aussi parce que Claudine et moi réfléchissions depuis quelques années déjà au rapport entre l’homme et l’animal, que l’on voulait aborder de manière à la fois philosophique, poétique mais aussi politique."
"Ces bêtes, on ne voulait pas les filmer juste parce qu’elles étaient jolies dans ces beaux paysages alpins. Elles ont rejoint nos propres interrogations sur la place de l’homme au sein de la nature, sur ce qu’il en fait."
Nous le peuple, Les Arrivants et Les Règles du jeu abordaient déjà ouvertement des questions politiques. Vedette constitue également un questionnement sur l’état de notre monde, mais d’une toute autre manière : "Le politique fait partie intégrante de notre cinéma. Dans nos films précédents, il était en effet plus visible, plus évident. On se posait des questions d’ordre social, sur l’organisation de notre société, ses dérèglements. Depuis quelques années, nos réflexions sont devenues plus générales."
"La crise écologique que l’on traverse fait naître des interrogations sur la manière dont notre monde traite le vivant. L’animal est au cœur de ces réflexions parce qu’il porte un double symbole : c’est à la fois un être vivant maltraité par l’industrie capitaliste et la consommation de masse, mais c’est aussi avec lui qu’on partage cette planète. Nous sommes sur terre ensemble, nous sommes tous en vie. Comment en sommes-nous venus à établir ce type de relation avec d’autres êtres vivants ?", précise Claudine Bories.
Dans cette vallée des Alpes où les vaches sont reines, Claudine Bories et Patrice Chagnard ont rencontré Vedette et ont voulu en faire une héroïne de cinéma : "On s’est vite rendu compte que chaque vache était unique, tout comme la relation qu’Elise et Nicole ont avec chacune de ces vaches est unique. À notre arrivée, pourtant, on était incapables de les différencier."
"Elles étaient toutes noires, avec des cornes et des sabots ! Mais petit à petit, on leur a repéré des particularités, dans leurs mouvements, dans leurs humeurs, dans leurs interactions avec Elise et Nicole. D’un point de vue cinématographique, c’était précieux. Ça signifiait qu’on pouvait faire d’une vache un personnage de film", se rappelle la réalisatrice.
Vedette a été présenté à l'ACID au Festival de Cannes 2021. A noter que le documentaire Les Règles du jeu, que Claudine Bories et Patrice Chagnard ont réalisé en 2014, a aussi eu les honneurs d'une sélection dans cette catégorie cannoise.
Le film est un récit d’apprivoisement, de Vedette par le spectateur, mais aussi du spectateur par Vedette. Claudine Bories et Patrice Chagnard ont ainsi, comme au théâtre, laissé beaucoup de place à d’improvisation dans le but de favoriser ce processus :
"J’expérimentais, j’essayais de déclencher des interactions avec Vedette. Souvent, ça ne marchait pas : elle refusait de s’approcher, elle me faisait la gueule... Il y avait plein de choses que je ne comprenais pas, malgré les conseils d’Elise et Nicole", se remémore la cinéaste, en poursuivant :
"Il fallait que je lui parle pour l’apprivoiser, mais qu’est-ce qu’on peut bien raconter à une vache ? Alors je lui ai fait la lecture, des textes sur la relation entre l’homme et l’animal. C’était des moments un peu étranges à vivre, mais contre toute attente, ça a fonctionné ! Ça a créé du lien entre nous."
D’un point de vue thématique, Vedette est dans la lignée de des précédents films de Claudine Bories et Patrice Chagnard, soucieux de communiquer et comprendre l’Autre. Toutefois, ce nouveau documentaire se distingue de leurs précédentes réalisations au niveau de la forme :
"Notre cinéma garde le même ADN, mais la forme a bel et bien évolué. Pour nos films précédents, nous étions attachés à une forme de cinéma direct : nous nous posions en observateurs qui refusaient d’intervenir et de modifier la réalité devant nous."
"Pour Vedette, le style a basculé dès que nous avons fait rentrer Claudine dans le cadre. Elle est devenue un personnage pour révéler quelque chose de Vedette. Le film s’inscrit davantage dans ce que Jean Rouch et Edgar Morin appelaient le cinéma vérité."
"On pouvait utiliser toutes les ficelles du cinéma pour révéler quelque chose qui tient du réel et de la vérité. Pas la vérité absolue, mais la vérité d’une rencontre, d’une situation... C’est une rupture, mais une rupture qui tient à la nature même du film."
"Si on avait fait le film en cinéma direct, il se serait transformé en documentaire sûrement très attachant sur les paysans et leurs vaches. Mais ce n’était pas ce qu’on voulait raconter. Toute la difficulté du montage a été de trouver l’équilibre entre la chronique paysanne et cette expérience intime."