L'idée première du film vient de la coscénariste Eurydice Da Silva, qui a été frappée par un fait divers : en 2018, à l’aéroport de Roissy, un SDF, en fouillant dans une poubelle, s’est appuyé contre une porte qui lui a donné accès au local d’un transporteur de fonds où se trouvait un sac rempli d’argent. Il est reparti avec 500 000 euros ! Après quelques semaines de cavale, le sans-abri a été retrouvé mais sans son butin. Selon ses propres dires, il s'est fait voler l'argent après avoir été enlevé. Le SDF a été placé en détention.
"Eurydice avait fait du SDF une femme qui s’apprêtait à traverser la France pour aller retrouver son fils disparu depuis des années. On est parti de cette base et on a imaginé un jeune homme en situation de handicap qui l’accompagne, dans une voiture sans permis, pour que le voyage soit le plus complexe et le plus lent possible. J’aimais l’idée que ce soit un road-movie dans une voiture sans permis car un tel voyage entre Paris et Lisbonne offre de nombreux rebondissements", raconte le metteur en scène Franck Cimière.
Franck Cimière voulait s’intéresser à des personnages tous les deux handicapés par la vie, deux êtres en souffrance – une mère en quête d’un fils et un fils en quête d’une mère qui font la route ensemble. Il précise : "Et finalement, la plus handicapée des deux, c’est Michèle : elle n’est plus du tout capable de vivre normalement et c’est elle qui souffre le plus. Peu à peu, elle va retrouver le goût de la vie en étant accompagnée par quelqu’un qui, sur le papier, a un handicap plus important que le sien. On se rend alors compte que le handicap est relatif."
Le road-movie est peu exploré en France. Ce qui plaisait à Franck Cimière via cette catégorie générique, c’est que la trajectoire des personnages et la narration évoluent en même temps que la voiture se rapproche de sa destination. Le réalisateur développe : "Comment mieux se représenter la progression d’un personnage qu’avec un road-movie, autrement dit un parcours physique ?"
"En matière de narration, les personnages vont en général d’un point A à un point B – et dans ce film, ils y vont physiquement. Ce que j’aimais bien aussi, c’est que mes deux protagonistes, qui voyagent dans cette minuscule voiture sans permis, sont perdus dans l’immensité du monde qui les entoure. Une impression renforcée par le fait que leur voiture est singulière par rapport à la majorité des véhicules."
Corinne Masiero était un choix évident : en plus de son talent de comédienne, elle a réellement vécu dans la rue et a donc été consultante sur le plateau de tournage. Franck Cimière se rappelle : "A un moment donné, Michèle s’attache un foulard au poignet et au caddie dans lequel elle met toutes ses affaires car, d’après ce que m’a raconté Corinne, il faut s’attacher à ses affaires quand on dort dans la rue."
"De même, elle met ses chaussons dans son sac de couchage pour ne pas se les faire voler. Outre son talent de comédienne, Corinne est pétrie de cette expérience de vie si bien qu’elle savait parfaitement de quoi elle parlait. C’était génial pour le rôle car cela lui donnait un ancrage réel. Le cinéma représente souvent des SDF sous un angle angélique, mais je voulais qu’elle soit dure."
Franck Cimière a parcouru la France entière des ESAT (Etablissement et Service d’Aide par le Travail), ces structures dont certaines sont spécialisées dans le théâtre et qui permettent aux personnes en situation de handicap d’exercer une activité professionnelle. Il se souvient :
"Et Vincent Chalambert est salarié de la compagnie du Théâtre de Cristal et se produit dans des spectacles toute l’année. J’ai donc rencontré toutes les personnes en situation de handicap aux quatre coins du pays et j’ai vu Vincent qui habitait à 5 km de chez moi !"
"Il a été extraordinaire. D’ailleurs, au Théâtre de Cristal, j’ai auditionné d’autres comédiens qui me recommandaient certains de leurs collègues qui, selon eux, pouvaient jouer le rôle mieux qu’eux ! Ils sont extrêmement généreux et écartent les enjeux de carrière professionnelle et d’égo."
Franck Cimière a opté pour une mise en scène simple, pour éviter que le film soit pompeux. Il y a, en effet, peu d’effets de caméra dans La Marginale. Le metteur en scène précise : "Je souhaitais que la mise en scène soit à la hauteur de l’histoire et de nos personnages. J’aurais trouvé étrange de mettre d’énormes moyens en place pour témoigner de la simplicité de ces personnages dans une voiture sans permis."
"Dans le même ordre d’idée, si en général on cherche le véhicule le plus grand possible pour y placer des caméras, je recherchais le plus petit. Vincent ne pouvait pas jouer et conduire en même temps, si bien qu’il a fallu tourner les intérieurs de voiture en studio et tous les extérieurs en décors naturels. On a tourné tous les intérieurs en premier ce qui s’est révélé un casse-tête pour coller à l’évolution des personnages."
L'image est de plus en plus colorée à mesure qu’avance l’intrigue, notamment après que les personnages quittent la région parisienne : "Pour les toutes premières scènes, on a même utilisé des panneaux gris pour gommer les éléments de décors colorés qui pouvaient se trouver dans le champ. Et quand on arrive à Lisbonne, qui est une ville chatoyante, les couleurs explosent."
"C’était important pour moi qu’on parte du gris pour aller vers la couleur. Il y avait un autre élément qui ne se remarque pas forcément, mais auquel je me suis attaché : au fur et à mesure, la couleur revient dans la voiture. Au début, tout est gris dans l’habitacle et, peu à peu, la couleur réapparaît à travers des tons de jaune et d’orange", confie le réalisateur Franck Cimière.
Franck Cimière a confié la bande-originale à Michaël Tordjman et Maxime Desprez. Il explique : "C’était très complexe car il fallait faire évoluer la musique en fonction de la relation entre Michèle et Théo qui s’allégeait peu à peu. Les compositeurs ont fait un formidable travail en créant toutes les musiques sauf Besoin de rien, envie de toi bien sûr, et ils ont même composé la chanson de la fin du film, qu’on entend aussi dans la scène de la ferme."
"Ils ont fait preuve d’une vraie lucidité pour bien accompagner le film car la musique est centrale. Ce n’est pas un film très dialogué, avec de grandes discussions, et pourtant il se passe beaucoup d’événements. Ce que j’aime, c’est déclencher les musiques à partir des émotions des personnages. Je ne fais pas forcément démarrer la musique sur un changement de plan, mais en fonction de l’état émotionnel du personnage que je veux commenter."