L’idée initiale du film est venue à Kira Kovalenko en lisant le roman L’Intrus de William Faulkner, dans lequel se trouve cette phrase : "La plupart des gens ne peuvent supporter l’esclavage, mais aucun homme ne peut manifestement assumer la liberté". La réalisatrice explique :
"J’ai longtemps réfléchi à cette phrase : la liberté existe-t-elle vraiment ? Est-ce que j’y crois ? Je pense qu’en fait elle n’existe pas, ou plutôt que des flashs de liberté ne surgissent que lorsqu’il n’y a pas de liberté du tout."
"Puis j’ai commencé à relier ça à notre mémoire : nous ne pouvons pas nous débarrasser de notre mémoire. Nous ne pouvons pas vivre sans elle. Et le thème de la mémoire et celui de l’impossibilité de liberté que nous voulons récuser m’ont obligée à me retourner vers certains événements que j’aborde dans le film."
Kira Kovalenko voulait que la structure du film fonctionne comme la mémoire, avec un point B qui rappelle au spectateur un point A, vers lequel nous revenons sans cesse. "Notre héroïne revient toujours au même point A de ses souvenirs. Nous-même, spectateurs du film, nous devons aussi revenir en arrière pour comprendre ce qui advient sous nos yeux. Je voulais que la forme et le fond correspondent", précise-t-elle.
Kira Kovalenko a tourné Les Poings desserrés en mars-avril 2019 dans le village de Mizour, en Ossétie, une région du nord du massif du Caucase. C'est après avoir trouvé sur Internet des photos de ce bourg que la cinéaste a choisi d'y situer son intrigue.
"Il fallait impérativement que je m’approprie les lieux avant de me lancer dans l’écriture. Je me souviens y être allée pour la première fois le 30 décembre 2017. Ce n’était absolument pas un lieu « cinégénique » et je me suis dit que c’était parfait, car je ne voulais rien qui soit beau, il ne fallait pas que le paysage exalte en quoi que ce soit le spectateur."
"Je voulais tourner en Ossétie, pas seulement parce que le sujet s’y prêtait, mais parce que je connais bien le Nord Caucase. On a l’impression que les gens sont différents d’une région à l’autre, alors qu’on se ressemble", confie la cinéaste.
Le film a été présenté dans la sélection Un Certain regard du Festival de Cannes 2021.
Kira Kovalenko a cherché les acteurs avec une jeune ossète qui l'a aidée. Cette dernière a fait le tour des écoles, des universités, des salles de sport ou encore des associations, puis a envoyé à la cinéaste de nombreuses photos et vidéos. Elle se rappelle :
"On s’est donc construit une sorte de base de données dans laquelle on est allés chercher les protagonistes. La jeune fille qui joue Ada était en deuxième année à l’université de Vladikavkaz où elle étudiait le jeu d’acteur et celui qui interprète le père est un acteur de théâtre équestre. Tous les autres sont des non-professionnels trouvés dans la rue, dans les salles de sport, en photo sur Internet…"
Kira Kovalenko a fait en sorte que le spectateur éprouve des sentiments contradictoires pour cette famille dans laquelle il y a autant d’amour que de frustration. Elle note : "Quand j’ai commencé à écrire, j’ai pensé à l’expression « la violence de l’amour ». Ici, chacun a ses traumas et l’amour qu’ils se portent est un amour qui a été blessé. Donc il ne peut se manifester que dans la violence."
Le film a été tourné en ossète – une langue que Kira Kovalenko ne connaissait pas du tout. Toutefois, la réalisatrice et les acteurs parlaient couramment le russe : "D’emblée, je me suis dit que, pour que le film fonctionne, il fallait qu’il soit parlé en ossète.
"Ça peut paraître curieux, mais j’aime tourner dans une langue que je ne comprends pas – j’avais tourné mon précédent film, « Sofitchka », en langue abkhaze, que je ne parle pas non plus. En fait, à chaque phrase prononcée, plutôt que de demander une certaine intonation, il y avait une autre phrase sous-jacente qui donnait le ton juste."
Kira Kovalenko avait d’abord choisi un directeur de la photographie très jeune, avec peu d’expérience. Mais elle a rapidement compris que, comme elle avait seulement 27 jours de tournage, elle n’avait pas le droit à l'erreur : "Donc j’en ai changé, mais la plupart étaient déjà engagés sur d’autres tournages.
J’en ai choisi un plus expérimenté, Pavel Fomintsev, mais qui n’avait tourné que pour la télé jusqu’alors. C’est compliqué de trouver un chef opérateur qui puisse rendre votre regard, qui soit comme votre reflet. Je pense que je vais continuer à chercher encore longtemps quelqu’un qui me corresponde parfaitement."