Une autre idée du monde est né d'un mélange de circonstance et de nécessité. Bernard-Henri Lévy, qui signe son sixième documentaire, explique : "La nécessité c’est que j’ai passé ma vie, en marge de mon travail philosophique, à faire des reportages et à en tirer des films. La circonstance c’est un magazine, Paris-Match, qui m’a commandé une série de grands récits. Un peu comme Le Monde, au début des années 2000. Avec le même « cahier des charges » qu’à l’époque."
"Avec la même idée d’aller chercher des guerres oubliées, des lieux de souffrance et de misère où il est difficile d’aller et où, quand on en revient, on rapporte des histoires qui n’intéressent que très difficilement les gens. La différence c’est que, là, le support, Paris Match donc, voulait aussi des images. Et qui dit images dit photos et qui dit photos dit, dans des situations pareilles, des moments inouïs, inimaginables depuis Paris et dont on ne peut pas ne pas essayer de faire aussi du cinéma..."
Bernard-Henri Lévy s'est rendu au Nigéria, au Kurdistan, en Ukraine, en Somalie, en Birmanie, au Bangladesh, en Libye et en Afghanistan. Autant de territoires de conflits que le réalisateur a choisi d'aborder non pas à travers leurs contextes historiques, ethniques ou géostratégiques, mais plutôt via des femmes, des hommes et des enfants. Le réalisateur développe : "Je ne suis pas journaliste. Mais je suis encore moins historien. Je suis écrivain. Et ce film est un film d’écrivain."
"C’est un film volontairement subjectif. Il se tient - je me suis efforcé, en tout cas, de le faire se tenir - au plus près de mes sensations, de mes émotions, de mes réactions. Et, vu ce parti pris, compte tenu de ce point de vue, je n’allais certainement pas contextualiser les situations où je me trouvais, les crimes ou le mal auxquels je m'affrontais. D’ailleurs, vous savez quoi ? En expliquant trop, on obscurcit. En contextualisant exagérément, on finit par gommer ce que peut avoir d'atrocement aveuglant une situation."
Bernard-Henri Lévy a opté pour une caméra qui s’attarde très souvent sur des visages. Il explique : "C’est à la fois le point d’affleurement de toute la misère, de la splendeur, de l’horreur, de la gloire de la condition humaine. Le visage est ma pierre de Rosette car c’est là que le monde se donne à voir dans sa déréliction et sa nudité. Nous avons tourné des heures et des heures de visages parce que je savais qu’à un moment il y aurait un regard bien plus riche, sensible, éloquent que n’importe quel discours."
A la co-réalisation, nous retrouvons Marc Roussel, un photographe, réalisateur et journaliste français qui est également le créateur de deux sociétés de production de films et d’un collectif de photographes : Orizon. Il a réalisé de nombreuses publications, expositions photographiques et reportages pour la télévision depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui. Il rencontre pour le première fois Bernard-Henri Lévy en 2001, suite à la série d’articles de BHL sur les attentats du 11 septembre à New York. Depuis les deux hommes partent souvent faire des voyages pour couvrir l’actualité des pays en guerre, comme la Libye et l’Afghanistan.
L’islamisme radical est très souvent en cause dans les situations au centre du documentaire Une autre idée du monde. "Pas dans tous les cas mais, oui, l’islamisme radical est actuellement le ferment de bien des conflits. C’est une menace contre la liberté et un réservoir de crimes contre l’humanité. Beauté, en revanche, des visages lumineux de celles et ceux qui lui résistent comme en Afghanistan !
"De ces femmes et hommes qui, comme Ahmad Massoud, fils du Commandant légendaire, lui opposent une autre idée de l’Islam. Que ce soit en Somalie, au Kurdistan ou encore là, en Afghanistan, ce qui m’intéresse c’est l’existence, la résistance, le surgissement et, encore une fois, le visage de ceux qui refusent que l’Islamisme radical dicte sa loi à eux, au reste de l’Islam et au monde", confie Bernard-Henri Lévy.
Dans le film, Bernard-Henri Lévy explique à propos de ses actions : "Ecrire, bien sûr ; témoigner, sans doute ; mais d’abord y aller". "Car je crois à la vertu du terrain. De l’expérience. Du contact avec les choses mêmes. Et je crois que, quand on fait ça sans œillères et sans préjugés, on voit des choses absolument incroyables qui échappent à toutes les grilles de lecture et d’interprétation. Un début, par exemple, de génocide des Chrétiens au Nigéria. Des moments de solitude, chez les Kurdes, dont la grandeur tragique saute aux yeux. La ville fantôme par excellence, la ville pourrie, la ville putride : Mogadiscio. Le film raconte tout cela. C’est mon carnet de voyage, en quelque sorte. Un carnet de notes. Et c’est un voyage au bout de l’enfer. Ou de la nuit", raconte le cinéaste.