Ziyara est un mot arabe qui signifie pèlerinage, mais il veut aussi dire visite, voyage. "Au Maroc, où je suis née, où j’ai grandi jusqu’à l’adolescence, on l’utilise surtout dans le contexte du culte des saints. La « visite » des marabouts est une pratique populaire très ancrée à la fois chez les musulmans et chez les juifs", précise Simone Bitton.
"Les saints sont des sages, des guérisseurs, des soufis ou des kabbalistes, des figures protectrices et légendaires. Leurs tombeaux, souvent surmontés de coupoles, parsèment le paysage. Parfois il n’y a pas de tombe, le saint est dans une source ou au pied d’un arbre, en bord de mer, dans une grotte ou un rocher. J’ai lu chez les anthropologues qu’il y avait plus de 650 saints juifs au Maroc, et parmi eux plus de 150 saints partagés, c’est-à-dire vénérés à la fois par les juifs et par les musulmans", selon Simone Bitton.
L’idée du film est partie de ce partage de croyances pour Simone Bitton. Au Maroc, les juifs représentaient une communauté de plus de 250 000 âmes jusqu’aux années 1950. Aujourd’hui, leur présence s’est réduite à une peau de chagrin, quelques centaines de familles au plus. "J’ai voulu voir ce que les sanctuaires juifs étaient devenus après leur départ. Je voulais voir ce qui restait d’eux, ou plutôt de nous, de moi, dans les paysages et dans les coeurs", confie la cinéaste.
L'idée de faire un road movie qui serait un pèlerinage profane où Simone Bitton irait à la recherche des lieux de mémoire juifs a pris un tournant décisif lorsqu'elle a commencé à rencontrer les gardiens musulmans de ces sanctuaires, mais aussi de cimetières et de synagogues.
"Ce sont pour la plupart des personnes très croyantes, humbles et modestes, des musulmans absolument sincères dans leur rapport à la sacralité des lieux juifs dont ils ont reçu la charge en héritage familial. A leur contact, une sorte de miracle est arrivé à la mécréante que je suis !"
"Alors que j’avais commencé les repérages en parlant en français ou en m’aidant d’un traducteur, soudain la langue de l’enfance qui était enfouie au fond de moi-même m’est revenue aux lèvres, et je me suis mise à parler en « Darija », le dialecte Arabe marocain que je croyais avoir complètement oublié."
Simone Bitton a utilisé des photos, mais aucune archive filmée : "Il existe des archives filmées des juifs marocains avant leur départ, et aussi des archives filmés des juifs qui s’en vont. Elles sont de manière générale mises en scène de manière grossière. Ces archives institutionnelles coloniales sont de surcroit souvent déplaisantes tant les clichés orientalistes et antisémites y sont marqués."
"Après quelques recherches, j’ai très vite préféré utiliser des photographies de manière très parcimonieuse et ciblée. Les photos renvoient exactement aux lieux du tournage, elles sont prises par des juifs, souvent au sein de leurs propres famille ou par des photographes locaux musulmans qui accueillaient juifs et musulmans dans leurs studios", justifie le metteur en scène.
Le film sort plus d’un an après sa complétion et plus de deux ans après son tournage, ce qui est lié à la pandémie. Le confinement de mars 2020 a en effet interrompu la post-production pendant plusieurs mois. Simone Bitton se rappelle : "Il y a eu un énorme embouteillage de films et Ziyara est un documentaire sans véritable accroche à l’actualité, donc particulièrement fragile."
"La pandémie a également amputé l’exposition internationale que l’on espérait. Mais tous les spectateurs ressentent désormais le film comme une formidable évasion du confinement. Moi même, lorsque je le regarde aujourd’hui, je me dis que c’est presque irréel, cette liberté qu’on avait de sillonner un pays, le voyage est redevenu le plaisir qu’il avait cessé d’être, il prend sa juste valeur."
Simone Bitton voit Ziyara comme son film le plus personnel. Lors du tournage, la réalisatrice a reproduit les gestes de sa mère, ses tantes et ses grands-mères, qui allaient allumer des bougies et demander protection et réconfort aux saints lorsqu’un enfant était malade ou lorsque la vie était dure.
"Mais c’est surtout le traumatisme des musulmans qui m’a intéressée, leur sentiment de perte, leur regret de ne pas avoir su garder la composante juive de leur société. L’un des personnages parle d’amputation, un autre se demande ce que le Maroc serait devenu si les juifs étaient restés, un troisième, pourtant jovial, tout d’un coup est étranglé par l’émotion, ne trouve pas ses mots et ne réussit pas à retenir ses larmes."
"Tout cela, qui est très sensible au Maroc, dessine un sentiment collectif de gâchis historique qu’il m’importait de laisser s’exprimer à l’écran. J’avais moi-même besoin de me consoler de certaines choses, et ces rencontres m’ont effectivement consolée, et même réconciliée avec une certaine idée de la fraternité humaine, bien au-delà de ce que je pouvais imaginer."