Quand je regarde une adaptation cinématographique, sauf rares exceptions je me préoccupe peu de la fidélité au matériel d'origine, en l'occurrence un célèbre roman de Jane Austen. Le cinéma et la littérature étant tellement différent que comparer qualitativement ces médias n'a pas vraiment de sens. En revanche, il est intéressant de voir ce qui a été repris et transformé, comment et pourquoi. Reprendre l'intrigue de "Persuasion", garder le contexte du film d'époque, mais le bousculer avec codes sociaux et dialogues anachroniques ? Sur le papier, pourquoi pas. Embaucher une distribution "woke" ? Je m'en moque un peu, surtout si le parti pris est délibérément anachronique. Par contre, il est incompréhensible que cette version de "Persuasion" baigne dans un explicite permanent et appuyé. Tout le sel de cette histoire d'amour entre Anne Elliot et le capitaine Wentworth vient originellement du fait que tout évolue en non-dits. Elle l'a éconduit des années auparavant sous la pression familiale car il était pauvre. Elle le retrouve, elle est "vieille" fille, il est fortuné et beau parti. Vont-ils se détester, se retrouver, ou devenir amis ? Difficile à dire, tant les conventions sociales leur empêche d'exprimer pleinement leurs sentiments. Ca, c'est pour l'histoire du roman, que l'on retrouve dans la plupart des adaptations. Ici, tout le monde exprime en permanence tout ce qu'il pense ou conçoit, le moindre détail est expliqué. Que ce soit entre eux, ou face au spectateur, avec des ruptures incessantes et pachydermiques du quatrième mur. On a l'impression d'être une andouille que l'on prend par la main continuellement. Une approche qui détruit totalement l'intérêt de cette histoire d'amour censée être subtile, désamorce toute forme de tension, et rabaisse le spectateur. Les Américains craignaient que le public ne suive pas une histoire déjà adaptée à mainte reprises ? Ou est-ce le passif de la réalisatrice, metteuse en scène de théâtre, qui appuie cela ? A part ça, on n'est pas dans un navet non plus. Les images sont plutôt jolies (le film a beau être américain, ils sont quand même venus tourner à Bath), même si la mise en scène est simple. Les acteurs donnent le change. Dont Richard E. Grant, sous-employé mais amusant en père narcissique. Dakota Johnson est quant à elle inégale, maintenant (à peu près) l'illusion avec une imitation correcte de l'accent britannique, mais tapant légèrement sur les nerfs lorsqu'elle s'adresse au spectateur. En conclusion, si c'est une bonne nouvelle que Jane Austen intéresse toujours le cinéma, on se passera aisément de cette version de "Persuasion".