L'Envol est librement adapté du roman Les Voiles écarlates de l’écrivain soviétique Alexandre Grin. A l'origine, Pietro Marcello n'avait pas prévu de l'adapter. C’est son producteur, Charles Gillibert, et son collaborateur, Romain Blondeau, qui lui ont proposé de le lire. Il se rappelle :
"Ce qui m’intéresse en premier lieu dans le roman, c’est le rapport entre le père et la fille. La mère meurt, c’est au père de s’occuper de l’enfant. Le lien qui se crée entre eux me passionnait. Et il me passionnait encore plus d’imaginer ce qui arrive à partir du moment où le père meurt."
"Car, dans le roman, la fille passe d’un homme, son père, à un autre, son mari – qui entre dans sa vie comme un prince charmant. Dans mon film j’ai voulu que les choses se passent différemment. Un homme arrive, en effet. Il s’agit d’un aviateur, mais il n’est pas du tout un prince charmant."
"Jean [Louis Garrel] représente à mes yeux le prototype de l’homme moderne. Tout l’oppose à Raphaël [Raphaël Thiéry] qui est comme un rocher. Jean est un homme fragile, instable et casse-cou. Il ignore sa place dans le monde. Juliette ne se laisse pas sauver par lui, comme une demoiselle en détresse."
"C’est elle au contraire qui prend l’initiative, elle qui l’embrasse, qui le soigne et qui enfin le laisse partir. Un second élément du roman m’avait frappé. C’est celui de l’étrange famille élargie qui accueille le père après la mort de sa femme. C’était inattendu, et j’ai trouvé cela très moderne."
"Il y avait le potentiel pour créer une petite communauté matriarcale d’exclus. Dans le film, les habitants du village appellent cette famille matriarcale « la cour des miracles ». Elle est constituée d’un petit groupe de gens qui vivent aux marges. Tous des marginaux, méprisés chacun pour une raison ou pour une autre."
Pietro Marcello voulait développer le thème du féminicide, qui n’est pas dans le roman. Avec les scénaristes Maurizio Braucci et Maud Ameline, le réalisateur a changé beaucoup d'autres choses, comme il l'explique : "Renaud [Ernst Umhauer] réitère le crime de son père Fernand [François Négret] lorsqu’il tente, sans succès, de violer Juliette."
"Or c’est moins une question d’héritage que d’éducation. Fernand n’a pas été condamné pour ses méfaits – même pas honni. Au contraire, c’est paradoxalement du veuf Raphaël dont on se méfie lorsqu’il revient de la guerre, parce qu’il est étranger. C’est dans cette culture-là que le viol devient un destin qui frappe une génération après l’autre."
Pietro Marcello a déménagé à Paris avec sa fille en 2020. Le cinéaste italien venait de terminer Martin Eden et avait deux projets qu'il devait achever : un film consacré au grand chanteur Lucio Dalla [Lucio] et un film collectif [Futura], réalisé avec Francesco Munzi et Alice Rohrwacher.
"Six mois après mon arrivée à Paris, j’étais déjà sur le tournage de L’Envol, en Picardie. Ça a été une aventure, non sans difficultés... En Italie, j’ai un réseau de relations dans le métier, je sais à qui m’adresser pour telle ou telle chose", se rappelle le metteur en scène, en poursuivant :
"A l’inverse, à mon arrivée en France j’étais seul. Et je ne parlais pas la langue. Je me suis accroché, j’ai fait confiance à mon producteur et je me suis lancé. Du reste, L’Envol est un film qui, au niveau le plus profond de son histoire, aurait pu être tourné ailleurs, en Calabre ou en Campanie."
Née en 2002, Juliette Jouan termine actuellement ses études de Cinéma et d’Anglais à l’université. Elle grandit à Caen dans une famille d’artistes. Très jeune, elle baigne dans un univers de spectacle de rue, de théâtre et de musique. Elle rejoint le Conservatoire de Caen où elle apprend le piano, puis celui de Cherbourg où elle pratique également le chant lyrique.
Au cours de sa pratique musicale, Juliette joue dans différents groupes de musique et compose ses propres morceaux. Ayant toujours eu un attrait pour le cinéma et le théâtre, elle décide de franchir le pas et de postuler au casting de L’Envol. Elle incarne Juliette, l’héroïne de ce conte historique et féministe. Avant de la trouver, Pietro Marcello a fait des centaines d’essais.
Le metteur en scène se souvient : "On m’a proposé des actrices connues ou non. Elle m’a frappé. Cinématographiquement parlant, je suis tombé amoureux d’elle. Elle sait chanter, elle sait écrire, elle porte en elle une vraie force. Elle a beaucoup contribué à la construction du personnage. C’est elle qui a adapté en musique le poème de Louise Michel L’Hirondelle, ce qui n’était pas prévu."
"Nous avons trouvé par hasard un recueil de poésie dans la fermette qui a servi de décor de « la cour des miracles ». Terminer avec L’Hirondelle nous a semblé parfait pour L’Envol. Grâce à Juliette, ce poème est devenu la chanson qui accompagne le générique de fin."
L'Envol a fait l'ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2022.
Tout comme pour trouver l'interprète de Juliette, le casting de Raphaël a été long. Pietro Marcello avait en tête une idée précise qu'il ne retrouvait pas dans les visages qu'on lui proposait pour ce rôle. Le cinéaste voulait quelqu’un dont la corpulence extraordinaire contraste avec la délicatesse de sa petite fille. Il confie :
"De même, il était impératif que ses mains soient épaisses et mal dégrossies, de manière à ce qu’on soit étonné de la finesse des gestes dont elles sont capables. Personne ne convenait. Puis, quand mon producteur m’a proposé Raphaël Thiéry, j’ai tout de suite dit : c’est lui. J’ai été conquis par son incroyable talent et pas l’expression antique de son visage."
Comme dans les précédents films de Pietro Marcello, on trouve dans L’Envol des images d’archives. Le réalisateur explique : "Celles que l’on voit au tout début du film, montées en parallèle avec le retour de Joseph au village, ce sont des images très précieuses du jour de l’Armistice dans la Baie de Somme. Plus loin dans le film, il y a des plans extraits du film de Julien Duvivier Au bonheur des dames. C’est la séquence où Raphaël et Juliette vont en ville pour vendre des jouets."
"Mais ce n’est pas un film riche d’archives. Ces images, et notamment celles de Duvivier, sont nécessaires, car il est impossible aujourd’hui de reconstruire le décor d’une ville d’entre les deux guerres. C’est bien trop complexe et coûteux. Est- ce la peine de dépenser des millions pour deux ou trois plans ? Admettons qu’on ait les moyens de le faire, est- ce éthiquement responsable ? Alors que je peux obtenir la même émotion, voire davantage, avec des images qui existent déjà. Cela donne à réfléchir."