Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis se connaissent depuis le collège mais leurs premières expériences dans le cinéma se sont faites séparément. Ce n’est qu’en 2013 que les deux hommes ont co-réalisé leur premier projet commun, Belvanera, tourné à Vejano – ce village de la région de Tuscie devenu depuis le cœur de leur cinéma. Alessio Rigo explique :
"C’est Matteo qui nous a conduits vers Vejano. Il connaissait Ercolino, un Romain installé là-bas depuis plusieurs années et qui possède un gîte au beau milieu d’un domaine où se réunissent régulièrement des chasseurs de la zone pour manger, boire et raconter des histoires locales. L’une de ces légendes, celle d’une panthère qui terrorisait le village, nous a donné l’idée de Belvanera."
"Pendant le tournage, les chasseurs nous ont raconté une autre légende, et nous avons alors réalisé un deuxième documentaire : Il Solengo. Cette fois encore, durant la réalisation du film, nous avons entendu une autre légende : l’histoire de Luciano, le héros de La Légende du Roi Crabe."
Chaque nouvelle histoire racontée à Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis par les chasseurs était plus vaste que la précédente, mais aussi beaucoup moins détaillée. Celle de Luciano commençait à Vejano et se terminait en Amérique du Sud, dans la Terre de feu. Ils précisent :
"Nous avions d’autre part peu d’informations sur ce personnage, sur l’époque précise des événements. Nous en avions moins encore sur ce qui lui est arrivé en Amérique. Il a fallu tout imaginer. C’est peut-être pour cela que nous avons progressivement basculé du documentaire vers la fiction."
Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis ont fait de nombreuses recherches. Ils ont, par exemple, cherché dans les archives des traces du voyage que, d’après leurs amis chasseurs, Luciano aurait fait entre la fin du XIX ème et le début du XXème siècle. Ils racontent :
"Nous avons trouvé plusieurs homonymes parmi les immigrants italiens en Argentine : l’un d’entre eux pourrait être Luciano. Nous nous sommes à notre tour rendus en Terre de feu, pour effectuer des repérages. Nous avons découvert un univers riche de récits et d’aventures invraisemblables d’Italiens émigrés. Nous voulions que, dans la partie argentine, l’histoire de Luciano fasse écho à tous ces mythes issus de la culture de l’émigration."
Les réalisateurs n'ont pas eu beaucoup de mal à trouver les rôles secondaires puisqu'ils ont sollicité les chasseurs et les villageois de Vejano en les habillant avec des costumes d’époque. En revanche, pour le personnage de Luciano, Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis voulaient trouver quelqu’un d’ailleurs :
"L’idée était que cette extériorité à la communauté puisse retentir dans le jeu en aidant à créer le personnage de paria qu’est Luciano. Nous avons assez rapidement pensé à un ami de longue date, Gabriele Silli. Gabriele n’est pas un acteur professionnel, il est artiste plasticien et vit à Rome. Gabriele a des traits de caractère proches du personnage, c’est pour cette raison que nous avons pensé à lui."
Le film est présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2021.
Gabriele Silli s’est énormément investi pour le rôle et a, entre autres, passé deux mois à Buenos Aires pour apprendre l’espagnol. "On peut dire qu’il a créé Luciano, y compris physiquement, comme une sorte d’œuvre d’art plastique. Il est devenu son personnage : depuis le tournage on l’appelle Luciano aussi dans la vraie vie", précisent les réalisateurs.
Pour le personnage d’Emma (l’amoureuse de Luciano), Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis ont découvert Maria Alexandra Lungu lors d’un casting. "Pour nous Emma devait avoir une personnalité forte. Il fallait quelqu’un qui puisse tenir tête à Luciano et en quelque sorte dompter sa sauvagerie à lui. C’était vraiment un rôle clé. Peut-être son personnage est-il le véritable protagoniste du film. Le héros est sans doute Luciano, mais d’une certaine manière tout le film parle d’elle. Contrairement aux autres, Maria Alexandra Lungu avait de l’expérience en tant que comédienne."
La partie italienne du film a été tournée à Vejano. Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis voulaient éviter les paysages brûlés typiques de l’été italien et pouvoir au contraire montrer une campagne verdoyante. Ils ont terminé le tournage de cette partie avant l’arrivée de la deuxième vague de Covid.
"Nous avons eu de la chance. Sur le tournage du film précédent, Il Solengo, notre équipe était réduite. Parfois dix personnes. Parfois juste nous deux. La Légende du Roi Crabe a en revanche exigé une équipe plus nombreuse. Mais cela n’a pas été non plus un tournage traditionnel."
"Le principal défi était de trouver une méthode adaptée aux villageois qui ne sont pas des acteurs professionnels. On ne pouvait pas exiger d’eux qu’ils répètent la même scène vingt fois : en plan large, champ, contrechamp, etc. Il fallait éviter de trop découper l’action."
Pour la partie argentine, Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis ont tourné de manière beaucoup plus traditionnelle. Mais d’autres défis les attendaient, comme la préparation complexe : "Il a fallu imaginer un tournage ayant comme base la ville de Ushuaïa, mais s’étendant sur un rayon de 400 kilomètres, jusqu’à la côte atlantique de la Grande Île de la Terre de feu. La grande partie de la journée était dès lors consacrée aux déplacements. À chaque fois il y avait une ou deux heures pour y aller et autant pour rentrer. Cela nous aura pris en tout deux mois. Et le COVID évidemment représentait un défi supplémentaire", se rappellent-ils.
Les films de Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis se caractérisent par la présence d'un animal. Ainsi, il s'agit d'une panthère dans Belvanera et d'un sanglier dans Il Solengo. Dans La Légende du roi crabe, c'est un crabe. Ils confient :
"C’est une idée qui est née avec le film. Nous l’avons inventé. Il n’y a pas vraiment d’explication au choix du crabe. Il est vrai qu’en Argentine nous avons entendu un grand nombre d’histoires avec des animaux. Mais le crabe que Luciano utilise pour s’orienter en Terre de feu n’en fait pas partie. Il s’agit simplement pour nous d’un élément surréel et magique."