Le film est né d’une image dans l'esprit de Stéphane Marchetti : celle d’une femme dans la montagne enneigée. Le réalisateur a ensuite nourri les personnages de Marie et Souleymane par deux rencontres. La première, celle d’un adolescent Porte de la Chapelle, qui lui a raconté comment un vieux monsieur lui a demandé soixante euros pour lui faire traverser la frontière à Vintimille et rejoindre la France. L’autre, à Calais, avec un Afghan établi en France :
"Il m’a ouvert une multitude de portes, car il travaillait à la distribution de nourriture dans la ‘’jungle’’ et connaissait tout le monde. Il était surtout passeur. Il avait des dettes et devait les rembourser. Il me semblait y avoir les deux faces d’une même thématique autour de ces gens qui s’improvisent passeurs. Ça m’a donné envie de creuser cette dramaturgie autour de personnages qui prennent le risque de faire passer la frontière à des migrants pour de l’argent."
"Souleymane, durant son voyage, a été victime des passeurs avant de le devenir à son tour pour rejoindre plus rapidement sa petite sœur. Il est entre les deux mondes. Ce glissement m’intéressait pour faire naître entre Souleymane et Marie une vraie relation. J’ai écrit une première version de ce script dans le cadre de l’atelier scénario de la FEMIS, où les grandes lignes du récit étaient posées, mais à l’époque, le personnage de Marie était très dur, peut-être trop."
"Avec Laurette, on l’a affiné pour lui donner plus de nuances tout en conservant son caractère rugueux."
Stéphane Marchetti a réalisé un documentaire sur un sujet centré sur les migrants : Calais, les enfants de la jungle. Il explique pourquoi il a voulu faire un film de fiction : "À Calais, j’ai vécu une des expériences les plus difficiles de ma vie. Je me souviens notamment d’un petit Afghan qui errait seul, son père étant parvenu à passer en Angleterre et pas lui. Face à cela, on se sent démuni, on a honte. Mon outil à moi, c’est la caméra, alors j’ai filmé pour témoigner de cette réalité-là. Ces images m’ont longtemps hanté. Je voulais continuer à creuser cette thématique."
"La fiction me semblait la continuité naturelle de mes documentaires, car elle existait au plus profond de moi avant le documentaire et le reportage, que j’ai pratiqués presque par hasard, même si ça a été un heureux hasard ! Avec La Tête froide, je reviens à ce que j’ai envie de faire depuis que j’ai six ans : de la fiction."
Stéphane Marchetti voulait s’éloigner de Calais, du décor de la ‘’jungle’’ et du littoral. Le cinéaste n’avait pas envie de refaire en fiction la même chose qu'il avait faite en documentaire. Il souhaitait aussi continuer à ancrer son projet dans le réel : "Nous avons tourné à Briançon, qui est une zone de passage des migrants très fréquentée depuis plus d’un siècle et encore plus depuis une dizaine d’années avec les différentes crises migratoires. La ville et ses alentours, les cols, les routes de montagne forment un ensemble que je trouvais intéressant tant au niveau du climat que de la géographie."
"La plupart des décors sont assez fantomatiques, avec peu de traces humaines. Ces grands espaces ont un côté interlope dans lequel on peut imaginer beaucoup de choses. C’est aussi avec ça en tête que nous avons choisi d’installer Marie dans ce camping un peu perdu, posé au milieu de l’immensité des montagnes. On se demande qui peut vivre ici. Ce sont souvent des personnes échouées, qui ont connu des accidents de la vie comme Marie. Elle se retrouve dans ce mobil-home qui appartenait à sa mère et dont rien à l’intérieur n’a changé depuis des décennies", confie le réalisateur, en poursuivant :
"Avec ma cheffe décoratrice, Charlotte de Cadeville, nous voulions qu’il reflète l’état intérieur de Marie, sa fragilité, au coeur d’une nature oppressante. Ce mobil-home raconte son état de précarité, mais il représente aussi un refuge pour elle et va également en devenir un pour Souleymane."
Stéphane Marchetti a opté pour une caméra très proche des acteurs, pour ressentir leur colère, leur peur ou le froid qui gifle leurs visages. Il précise : "J’ai toujours en tête la phrase du photographe Robert Capa : « Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près ». L’idée était donc d’être très près d’eux, dans des endroits souvent clos, comme une voiture, un mobil-home, qui procurent un sentiment oppressant, une tension interne permanente. Par contraste, dans la deuxième moitié, le film s’ouvre sur la montagne, qui devient plus présente."
"Les grands espaces, dans lesquels les personnages apparaissent minuscules, comme perdus, donnent la sensation d’infini. La nature nous remet souvent à notre place."
Florence Loiret Caille s’est imposée comme une évidence pour Stéphane Marchetti, et ce dès la fin de l’écriture du scénario. Le metteur en scène se rappelle : "Elle possède ce côté brut, revêche, presque un côté badass ! Mais elle a aussi cette fragilité, cette sensibilité à fleur de peau que je cherchais pour le personnage. Marie est une femme tellement fissurée à l’intérieur que si elle n’est pas dure, elle s’effondre. Elle assume tout ce qu’elle fait, au moins en surface, mais à l’intérieur, elle doute et culpabilise."
"Florence est une comédienne très instinctive, très animale et elle a vraiment apporté toute cette complexité et ces nuances au personnage. Je sais qu’elle appréhendait énormément ce tournage, d’ailleurs elle m’a dit assez tardivement qu’elle n’aimait ni le froid ni la neige !"
Stéphane Marchetti et le directeur de la photographie Sébastien Goepfert ont essayé de trouver une ligne de crête pour ancrer le film dans une réalité, sans qu’il soit prisonnier du sujet. Le cinéaste voulait qu’il possède une identité formelle affirmée : "Sans jamais trahir le réel, il s’agit de transmettre au spectateur la dimension dramatique qu’on trouve dans les différentes ambiances du film. On a privilégié pour le cadre et la lumière une approche émotionnelle pour capter les lumières inquiétantes de la nuit ou l’âpreté des intempéries. On a beaucoup travaillé sur les images de montagne et de la nuit, qui sont deux éléments très importants dans le film."
"Dans les séquences montagnardes, je voulais jouer sur la perte de repères qui vous gagne souvent quand vous êtes en montagne. Peu importe où vous tournez la tête, il n’y a que l’immensité blanche, ce qui rend la confrontation avec la nature encore plus effrayante. Pour les séquences nocturnes, royaume du danger et de la clandestinité, c’était la même volonté. Le camping et les routes sont souvent fantomatiques, avec quelques lumières au loin, des phares de voitures ou des réverbères. Ces quelques points lumineux amènent de l’intensité et un peu d’étrangeté."