Il n'y a pas d'acteur, pas de scénario, pas de fond musical, pas de voix off. Pas d'auteur pourrait-on demander (sauf qu'il y en a un). Ce n'est pas une romance, pas une aventure, pas un policier, pas un hospitalier, pas une fiction, pas un documentaire. On se demande donc pourquoi faire ce film ?
Il y a un lieu, justement, qui en donne le titre et peut-être la raison. Émanation (on l'apprend à la fin) de l'hôpital de l'Esquirol à Saint-Maurice vers le bois de Vincennes.
Dans ce lieu, vont et viennent des personnages, avec des hauts et des bas, leurs folies douces, qui passent comme des brises sur un champ de fleurs. Ça nous remue, nous les fleurs parfaites de la création, dans la salle de ciné. Il serait vain de décrire ces hauts et ces bas, d'autant qu'il y a des "trous" (on est prévenus en début de film). L'un dit avoir perdu sa liberté, l'autre vouloir guérir de sa folie. Un autre doit parler pour couvrir les voix qu'il entend. Un autre a tout compris de la création (artistique). Un autre encore dit vouloir donner son chi gong. Etc. C'est sans fin. Même s'il y en a une, qu'on ne voit pas arriver (c'est un film où l'on ne s'ennuie pas une seconde).
Mais a-t-on vraiment compris pourquoi faire ce film ? Est-il possible qu'on ait voulu signifier que la psychiatrie traditionnelle est fautive ? Ou manchote ? Il y a bien des psychiatres parmi les personnages, mais ceux-là ne se font pas payer, d'ailleurs on ne les entend pas. Il y a aussi les psychiatres qu'on ne voit pas (ils sont en dehors de cette péniche), ceux qui administrent les médicaments, sans lesquels la plupart (des personnages) avouent qu'ils ne pourraient pas être ici (les fameux "amis payants" dont parle le film "Je verrai toujours vos visages"...).
C'est en sortant du cinéma qu'on croit comprendre : on retombe en effet tout de suite, dehors, dans la violence du monde d'aujourd'hui... La clé serait-elle ce dont le film ne parle pas ? Le film montre-t-il que notre société reste en capacité, quand elle veut, d'aider les plus fragiles ? D'ailleurs, c'est pourquoi on ne voit pas le temps passer avec ces personnages, leurs paroles, leurs écritures, leurs peintures, leurs musiques. Libres.
En outre, les plans fixes de la caméra, plus la spontanéité de parole des personnages filmés, constituent un mystère. Ou un coup de génie ? Car il n'y a pas d'acteur. Comment la caméra peut-elle paraître aussi peu intrusive ? C'est sans doute ça, plus l'humanisme du message, qui a rapporté l'Ours d'or à Berlin.
A.G.