“Je voulais réaliser une comédie à la tonalité différente, plus franche et assumée que celles que j’avais pu écrire auparavant, pousser les curseurs du comique et aller vers un rire plus libérateur, plus rebelle, qui n’aurait pas peur de tendre vers le potache”, explique le réalisateur Sébastien Betbeder.
Usé, dit Nicolas Belvalette, est un artiste français dont la musique est à la croisée du punk, de l’électronique et de la chanson à textes. Le réalisateur admirait sa musique et c’est après l’avoir vu en concert qu’il a eu envie de le filmer, en l’associant avec un acteur familier de ses films, Thomas Scimeca. “Ce rapprochement m’est venu d’abord par la ressemblance physique entre eux deux, mais aussi et surtout, par le pressentiment que de leur rencontre pouvait naître une comédie différente.” Sébastien Betbeder a d’abord réuni les deux comédiens dans le moyen-métrage Jusqu’à l’os, dont Tout fout le camp est la continuité.
Tout fout le camp inclut un certain nombre d’éléments biographiques d’Usé, dont sa candidature à l’élection municipale dans sa ville d’Amiens en 2014, en réaction à la volonté de la mairie de fermer l’Accueil froid, le lieu artistique dont il s’occupe. Il avait ainsi fondé le Parti Sans Cible et a recueilli 2,5 % des voix. Sa démarche lui a valu d’être désigné personnalité de l’année par Le Courrier Picard. “J’ai alors imaginé Thomas Scimeca en pigiste de ce même journal, à qui l’on commande un portrait du candidat quelques années après sa campagne”, explique le réalisateur.
À l’instar du Voyage au Groenland, le film part d’une approche documentaire pour glisser vers la fiction. Sébastien Betbeder revient sur sa démarche : “Si j’ai trouvé dans la biographie et la personnalité d’Usé une source d’inspiration, le pari de Tout fout le camp, et son moteur, étaient de dépasser ce réel pour dériver vers une fiction que je souhaitais rythmée, aventureuse, pleine de péripéties et totalement libre. Ainsi, j’ai eu l’intuition, dès les premières ébauches du scénario, que le protagoniste principal du film ne devait pas être Usé mais Thomas. Le statut de journaliste de son personnage - à savoir celui qui enregistre le réel et le retranscrit à sa manière -, me permettait d’en faire une sorte de passeur, d’alter ego du spectateur du film.”
Thomas Scimeca interprète un personnage appelé Thomas, prénom qu’il avait déjà dans Le Voyage au Groenland. Pourtant, ce n’est pas le même personnage mais le réalisateur tenait à ce qu’il garde ce prénom “comme une superstition peut-être, mais surtout comme une affirmation pour moi de l’apport du réel dans l’écriture de mes films. Avec Thomas, on commence à très bien se connaître et j’ai besoin de me référer à sa personnalité, à son caractère, pour construire son personnage. Cela m’aide à le façonner, à lui apporter une certaine complexité, une vérité.”
Sébastien Betbeder revendique l’indépendance de son travail, même si cela signifie avoir un budget minime : “Ce film a été compliqué à produire par l’absence d’un casting connu, à l’exception de Thomas [Scimeca], mais il était important pour moi de réunir d’abord des comédiens dont j’admire le travail, au-delà de tout calcul. Tout fout le camp est un film indépendant dans son écriture et sa production, qui traite, entre autres sujets, d’une marginalité revendiquée. En cela, il était inimaginable de le produire avec des comédiens trop médiatisés”.
En plus d’incarner l’un des protagonistes du film, Usé signe aussi la bande originale du film. Sébastien Betbeder n’avait pas prévu à l’origine de lui demander de composer la musique, bien qu’il soit musicien : “D’autant que les deux albums d’Usé mettent la batterie au centre des compositions et que j’avais le désir d’une musique plus synthétique pour Tout fout le camp. Mais Nicolas m’avait fait écouter d’autres morceaux non édités (dont ceux de son prochain disque) qui m’ont évoqué le travail de François de Roubaix qui est l’une de nos références communes. Nous nous sommes mis alors d’accord pour partir dans une direction où la mélodie serait centrale, à l’opposé du sound design, ou du simple habillage sonore.”
Sébastien Betbeder avait en tête plusieurs influences pour Tout fout le camp. Tout d’abord deux films d’Alain Cavalier, Le Plein de super “pour la force d’un collectif” et Un étrange voyage “pour le récit en ligne claire et l’émotion incroyable qu’a produit chez moi sa découverte”. Il cite également Jacques Rivette, en particulier Le Pont du Nord et Haut bas fragile “pour ces personnages projetés dans un Paris désert où tout devient possible et qui fait naître le jeu.” Le réalisateur souhaitait mêler ces références cinéphiliques à des souvenirs d’un cinéma plus populaire auquel il est aussi très attaché, comme les comédies des années 1980 telles que Les Compères. Quant à la figure du zombie qu’il convoque avec le personnage de Jojo, il est allé puiser dans le cinéma gore, “dans son aspect sale et amateur. J’aime l’humour malaisant et l’attirance/répulsion qu’il peut provoquer. J’ai replongé avec plaisir dans mes souvenirs d’adolescents et repensé à des films comme Bad Taste de Peter Jackson ou la trilogie Evil Dead de Sam Raimi. Je voulais retrouver cette esthétique du bricolage.”
“Il me tenait à cœur de montrer ces êtres mis de côté et cette marginalité que je conçois dans la vie, comme dans le cinéma, comme pouvant se révéler une force, qui mérite attention, respect et même admiration”, affirme Sébastien Betbeder. Le réalisateur revendique un esprit punk et un renversement des codes de la bourgeoisie : “Si le film fait écho à l’ambiance morose de ces dernières années, c’est pour mieux affirmer la possibilité d’un contre-pouvoir, l’espoir dans le collectif, dans l’excès et la désobéissance.” Par le prisme de la comédie, ce sont plusieurs sujets de société qu’il aborde, comme “la trahison de la gauche, l’abandon des classes populaires, la droitisation des esprits, les violences policières.”