Le metteur en scène Benoit Jacquot explique quel est le point de départ du documentaire Par cœurs : "C’est un vœu qui est le mien depuis longtemps, depuis que j’ai vu à la télévision un film de Raymond Depardon : cinq minutes sans la lâcher, c’est-à-dire sans la couper, sur Isabelle Huppert avant son entrée en scène à l’Odéon."
"Il y avait là quelque chose d’elle de profondément émouvant. Sachant qu’elle allait jouer La Cerisaie dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, en Avignon, j’ai eu l’envie de la filmer le jour précédant la première représentation, au travail, de façon presque continue. Puis j’ai su par Fabrice qu’il allait jouer lui aussi en Avignon."
"A ce moment-là, j’étais plus ou moins en train d’écrire un scénario pour eux deux. Ils avaient été les protagonistes de mon film Pas de scandale (1998). Ce qui m’intéressait : deux exercices très différents voire contradictoires, l’une pour l’ouverture du festival dans la Cour du palais des papes, l’occasion la plus solennelle et publique."
"L’autre dans l’un des lieux dédiés du festival, l’hôtel Calvet, pour donner deux représentations exclusives de son seul-en-scène autour de Nietzsche. Il y avait un relief qui me retenait d’avance dans cette opposition de deux expériences. C’est comme ça qu’est venue l’idée de réaliser ce projet avec ces deux acteurs que je connais 'par cœur'."
Dans le premier Par cœur (1998), Benoit Jacquot filmait Fabrice Luchini lisant et disant, seul sur scène, La Fontaine, Céline, Flaubert, etc. Le cinéaste confie : "D’ailleurs, c’est Fabrice qui a raccordé ce film-ci au premier Par cœur et eu l’idée du titre. Ça l’intéressait qu’il existe quelque chose comme Par cœur 2. Et l’idée de partager le film avec Isabelle lui agréait complètement."
"Aussi bien qu’à Isabelle de le partager avec lui. Comme Caroline a été très mêlée à certains films que j’ai faits avec eux deux, et qu’elle avait fait l’image du premier Par cœur, je lui ai proposé de faire l’image de celui-ci. Manifestement, ça l’intéressait beaucoup. Sa présence m’a donné une énergie qui n’appartient qu’à elle."
Benoit Jacquot a tourné deux jours pour Isabelle Huppert et une journée et demie pour Fabrice Luchini, entre la veille et le jour de la représentation. Il se rappelle :
"Il y a une vraie complicité entre Fabrice et moi depuis très longtemps, et un vrai bonheur de parler l’un et l’autre de ce qui occupe à peu près toute sa vie : interpréter."
"Ça peut prendre des dimensions quasiment philosophiques, lui et moi étant - chacun pour ce qu’on fait - authentiquement passionné par le fait d’interpréter un rôle, un texte, un personnage, lui pour le jouer, moi pour le filmer."
"Cette parole à laquelle on assiste dans le film et à laquelle je m’attache, au sens où je la suscite autant que possible et la relance, c’est un usage que je connais entre nous et que j’essaie de faire partager dans le film."
Benoit Jacquot a filmé Isabelle Huppert dans un moment de fragilité intense. Le réalisateur précise : "Le long plan sur Isabelle en scène, quand elle répète, je n’étais pas là pour commencer. Tout à coup, je l’ai vue sur scène, dans un brouhaha invraisemblable, avec Caroline devant elle qui la filmait. Je me suis assis. Elles avaient arrangé ça toutes les deux."
La directrice de la photographie Caroline Champetier poursuit : "On n’a rien arrangé du tout. A un moment donné, elle s’est levée dans la loge et je savais qu’il fallait la suivre. J’ai tout de suite compris qu’elle allait répéter. Ça a duré un moment, à peine plus longtemps que ce qu’on voit à l’écran."
"Quand nous sommes repartis, j’ai dit à Benoît : « C’est dingue qu’elle nous donne ça à voir ! » Je me souviens de Jeanne Moreau : « Un texte, il faut le savoir plus que par cœur ». Ça veut dire quoi ? Huppert, Luchini, c’est exactement ce qu’on les voit faire à l’écran. Quand je vois le film aujourd’hui, je trouve qu’on voit vraiment deux personnes travailler."