Parfum vert a commencé à prendre forme lorsque Nicolas Pariser s'est replongé dans la lecture des albums de Tintin, qu'il avait déjà lus à plusieurs périodes importantes de sa vie. En les relisant, il a arrêté de les envisager comme un corpus uniforme pour les voir comme une suite de livres (très) inégaux. Le metteur en scène se rappelle :
"J’ai réalisé que ceux qui me touchaient le plus étaient les Tintin des années 30. Ils ont pour particularité d’avoir une veine comique avec un fond politique, voire géopolitique, qui se nourrit de l’actualité de ces années-là. Surtout, en relisant Le Sceptre d’Ottokar (1939), j’ai beaucoup pensé à Une femme disparaît (1938, Alfred Hitchcock)."
"Ce sont deux œuvres qui révèlent une véritable inquiétude quant à la marche du monde, une angoisse liée aux événements européens. Je me suis alors demandé si Hergé connaissait Hitchcock. Renseignements pris, j’ai cru comprendre que oui, mais l’inverse n’était sans doute pas possible : à l’époque, Tintin était un phénomène belgo-belge."
Nicolas Pariser a étudié pendant des mois la structure des films anglais de Hitchcock et a imaginé un projet qui en aurait été un pastiche, déjà avec Vincent Lacoste dans le rôle principal : "Cela se passait en Angleterre en juin 1939 mais je ne suis pas parvenu à trouver une nécessité à cet exercice de style et puis le film était atrocement cher.
"J’ai donc abandonné ce projet mais une idée graphique persistait : celle de Vincent Lacoste en Michael Redgrave dans Une femme disparaît ou en Derrick de Marney dans Jeune et innocent (1937). J’avais du mal à me défaire de cette image de Vincent Lacoste en tweed, pantalon golf, en train de courir dans la campagne anglaise."
Nicolas Pariser a remarqué qu’il y avait quelque chose de caractéristique chez Hitchcock et Hergé : dans les années 1930, leurs œuvres parlent de la montée du fascisme et du nationalisme mais sans jamais évoquer la question de l’antisémitisme. Le réalisateur confie :
"Ce sont deux artistes catholiques qui pressentent la déflagration future en ne voyant simplement pas ce problème. En fait, pour Hergé c’est un peu inexact et surtout très accablant : il y a des Juifs dans ses albums mais ce sont presque toujours des caricatures antisémites."
"Chez Hitchcock, à ma connaissance, il n’y a pas de Juifs du tout. Après avoir identifié ce point aveugle, je me suis demandé ce que cela donnerait de mettre des personnages juifs au milieu d’un récit d’espionnage de type « hitchcocko-hergéen »."
"Le projet trouvait sa nécessité avec cette idée : plonger deux personnages juifs dans l’Europe tourmentée du XXIème siècle. Je voulais essayer de filmer l’Europe comme un territoire qui, historiquement et politiquement, existe et qui n’est pas juste une lubie de néo-libéraux post démocratiques."
"Entremêler Hitchcock et Hergé m’offrait un point de départ : la comédie d’espionnage. Et cela m’intéressait de « mettre le paquet » sur ces codes-là. Puis, au fur et à mesure que le récit se déploie, il fallait m’en éloigner, que ces références ne soient plus du tout le moteur de la fiction."
Nicolas Pariser ne voulait pas faire un film rétro, ni un film "ultracontemporain". Ainsi, Vincent Lacoste est habillé avec des vêtements d’aujourd’hui, mais qui peuvent évoquer les années 30-40 (un peu habillé comme Tintin). Le metteur en scène souhaitait également que Sandrine Kiberlain soit habillée comme Corto Maltese (avec une pointe de Capitaine Haddock) :
"Sur l’aspect purement visuel, je tenais absolument à travailler en 35mm parce que je déteste l’aspect immatériel et froid du numérique. Et puis une de mes références plastiques c’était la planche de BD franco-belge qui, comme le 35mm, a une matérialité forte, je veux dire on y sent le trait, le poids de l’encre, du papier... J’envoyais des planches au décorateur, à la costumière."
"Je ne voulais pas copier mais que l’inspiration soit forte : il y a même à un moment donné où l’on voit un type habillé en Spirou mais je tenais toutefois à ce que toutes ces références soient plus ou moins subliminales."
Nicolas Pariser voit aussi Le Parfum vert comme la continuité d’Alice et le maire qui parlait de l’effondrement de la France comme nation démocratique. La question que le cinéaste s'est posée est : qu’est-ce qui se passe quand les citoyens sont méfiants envers la démocratie et que la gauche disparaît peu à peu comme modalité d’existence rationnelle et juste ? Il explique :
"Eh bien je me dis que quand tout cela disparaît, c’est la guerre. Or, la guerre c’est un sujet qu’on ne peut pas traiter dans un seul pays donc il faut faire un film à l’échelle d’un continent. Plus concrètement, faire un film européen cela consistait pour moi à filmer des trains qui traversent des frontières, filmer dans plusieurs pays... Je me disais que si c’était réussi ça ne ressemblerait pas à un film français."
Alice et le Maire et Le Grand Jeu se caractérisaient par une volonté, chez Nicolas Pariser, de réalisme et de cohérence. Avec Le Parfum vert, le réalisateur a, au contraire, voulu lorgner du côté de la bande dessinée et du cinéma de divertissement : "Plus grand, avec plus de monde, qu’il se passe plus de choses en même temps."
"Pour autant la mise en scène ne doit pas être, à mes yeux, un fétichisme du mouvement d’appareil ou de la beauté plastique pour elle-même. Si la caméra bouge ou si c’est beau, il ne faut pas que ça se voie. Je continue d’essayer d’aller au plus simple, que ce soit en termes de cadre, de découpage ou de nombre de plans.
"Donc quand je me dis « tiens j’ai envie de faire un film qui sera plus ambitieux en termes de mise en scène », cela veut simplement dire que je vais filmer plus de décors, plus de monde, plus de mouvements, plus d’événements. Je voulais aussi, avec Sébastien Buchmann, faire une photo plus stylisée, plus travaillée."