Avec La Jeune fille et les paysans, DK Welchman et Hugh Welchman adaptent le roman du même nom de Władysław Reymont, qui est peu connu en dehors de la Pologne. Hugh se rappelle : "Pendant le tournage de La Passion Van Gogh, DK a eu envie de m’initier à la culture polonaise. Elle m’a acheté plusieurs romans connus, parmi lesquels Les Paysans. C’était de loin le plus long et on était très occupés à ce moment-là, alors je ne l’ai pas lu tout de suite. Quand j’ai enfin pu prendre un peu de vacances, après les Oscars, je me suis dit que c’était le moment ou jamais. Je l’ai dévoré, quatre fois, puisqu’il s’agissait de la traduction de 1924 en quatre tomes. J’ai très vite vu que c’était un chef-d’œuvre."
"Dans la lignée de Charles Dickens, Thomas Hardy, Emile Zola. Les paysans ont été les piliers de la société européenne pendant plus de mille ans, jusqu’à la Révolution industrielle, et au-delà. J’ai eu très envie de faire découvrir ce magnifique livre au public non-polonais. Il le mérite amplement. C’est pour cette raison que nous avons travaillé sur une nouvelle traduction en anglais avec Penguin Classics, dans l’espoir de donner envie aux gens de lire aussi le roman."
DK Welchman a écouté le livre audio du roman pendant qu'elle peignait son unique plan de La Passion Van Gogh. La cinéaste confie : "Je crois que j’ai été frappée par la beauté des descriptions que fait Reymont du village, des saisons et de la nature environnante. J’ai trouvé les personnages attachants, même drôles, bien plus que lors de ma première lecture, quand j’avais 17 ans. C’est un roman qui nécessite de la patience et un peu d’expérience de la vie."
La Jeune fille et les paysans est centré sur Jagna. Un angle qui a poussé DK Welchman à raconter cette histoire. Cette dernière explique : "C’est un superbe roman, truffé de descriptions à couper le souffle, mais ce qui m’attirait réellement dans l’idée de l’adapter, c’était Jagna. En tant que femme, j’ai moi aussi été injustement montrée du doigt de nombreuses fois dans ma vie. Je me reconnaissais vraiment en elle, ce qu’elle traversait me touchait."
"Au départ, on l’envie, elle est incomprise, puis, on la maltraite, on l’humilie et finalement, on la met à l’écart, tout ça parce qu’elle est jolie, rêveuse, artiste, qu’elle vit les choses avec passion, mais surtout parce qu’elle remet en question le patriarcat qui est soutenu par l’Église. C’était comme si elle m’appelait à elle. Le fi lm est ma réponse à cet appel."
Pour jouer Jagna, DK Welchman et Hugh Welchman cherchaient une comédienne possédant un côté rêveur, ainsi qu'une sensibilité artistique prononcée et une beauté saisissante : "Nous ne nous sommes pas contentés de regarder du côté des actrices polonaises établies, nous avons aussi organisé des auditions dans des écoles d’art dramatique, ou de cinéma. Nous avons vu beaucoup de gens qui n’avaient aucune expérience. Les gens ont une image préconçue de Kamila, à cause de sa beauté."
"Ils veulent trop souvent la mettre dans une case, ils sont jaloux et possessifs. Elle doit se battre pour se définir comme elle l’entend. Elle fait une formidable Jagna moderne parce qu’elle comprend ce que vit le personnage, dans le contexte actuel", précise Hugh Welchman.
DK Welchman et Hugh Welchman ont incorporé, dans La Jeune fille et les paysans, des peintures connues dans l’histoire. Le fait que Wladyslaw Reymont soit un auteur de la Jeune Pologne (un mouvement moderniste dans les arts graphiques, la littérature et la musique) a donné l’occasion aux réalisateurs de lier sa prose aux œuvres des peintres de son époque : "Le courant de la Jeune Pologne a touché de nombreux domaines et styles artistiques mais à la base, c’est un mouvement qui met en avant l’identité et la culture polonaises, qui dépeint la Pologne comme un pays fort, vivant, même lorsqu’il est occupé par des puissances étrangères."
"Nous avons sélectionné des tableaux des peintres polonais de la fin du 19e et début du 20e siècles et nous les avons combinés aux techniques cinématographiques et d’animation du 21e siècle. Nous nous sommes inspirés des oeuvres de plus d’une trentaine de peintres, de Michał Gorstkin-Wywiórski à Ferdynand Ruszczyc, mais surtout de Józef Chełmonski, de l’école réaliste. Dans ses dernières oeuvres, après son retour en Pologne, la campagne polonaise est très belle, très expressive. Ça correspondait exactement à ce qu’on voulait faire visuellement", précise DK. Elle ajoute :
"Le book que j’ai créé pour le film avec Piotr Dominak, qui était aussi mon chef-peintre sur La Passion Van Gogh, s’inspire beaucoup de nos propres études aux Beaux-arts. Nous avons grandi avec ces tableaux, ils nous fascinent toujours autant. Le film était pour nous l’occasion de partager cette fascination avec le public polonais et international."
DK Welchman et Hugh Welchman ont dû réfléchir à la façon de représenter la violence et la sexualité du roman (lequel est beaucoup plus violent que le film parce qu’il fait quasiment 1000 pages) : "Dans le roman, la violence physique fait partie de la vie quotidienne. Tout le monde ne cautionne pas la violence domestique, mais elle est acceptée. Nous, nous avons décidé de ne montrer que la violence qui était nécessaire à l’histoire. Quant à la sexualité, nous avons un carré amoureux au centre de l’histoire."
"L’histoire elle-même a pour moteurs la passion, la jalousie, la rage. Alors, le sexe devait être représenté. Mais on voulait que le fi lm reste accessible à des adolescents. Alors, nous avons fait attention à montrer les choses de manière à obtenir toutes les certifications nécessaires."
Après La Passion Van Gogh, qui a été le film polonais ayant connu le plus de succès au box-office mondial, de nombreux distributeurs et vendeurs ont dit à DK Welchman et Hugh Welchman que le monde était devenu plus ouvert à l’animation pour adultes : "Mais ils nous demandaient aussi souvent si on comptait faire La Passion Van Gogh 2. Autrement dit, si on comptait faire la même chose avec d’autres peintres. Nous avions envie de faire autre chose, de montrer tout ce qu’on pouvait faire avec les techniques d’animation au cinéma."
"Donner vie à un roman de plus de 1000 pages, c’était un défi intéressant, et c’était aussi l’occasion de montrer que ça marcherait aussi pour un drame. La Jeune Fille et les Paysans fonctionne à une tout autre échelle que La Passion Van Gogh. Il y a de la danse et des combats. Chaque image nous a demandé deux fois plus de temps de travail, en raison du style plus réaliste et des mouvements dynamiques de caméra", raconte Hugh Welchman.