Aurélie Saada déclare : « Rose est l’histoire d’une révolution intime, celle d’une femme de 78 ans qui après avoir perdu son mari qu’elle aimait tant, se découvre et réalise qu’elle n’est pas juste une mère, une grand-mère, et une veuve, mais qu’elle est une femme aussi, et qu’elle a le droit d’en jouir et de désirer jusqu’au bout de la vie. »
Avec Rose, Aurélie Saada signe son premier long-métrage. Comédienne, notamment au sein du collectif Les Quiches, elle mène également une carrière de chanteuse, d’abord en solo (sous le pseudonyme de Mayane Delem) et désormais au sein du duo Brigitte, avec Sylvie Hoarau, récompensé en 2012 du prix « Groupe ou artiste révélation scène » aux Victoires de la musique. Elle explique : « Je sais qu’en France on a parfois du mal à entendre le désir d’un artiste de vouloir s’exprimer sous de nombreuses formes artistiques, et que l’on questionne même la légitimité d’une telle démarche. Je ne m’imposerai pas de limites, parce qu’on n’a qu’une vie, et de nombreux visages. Je suis convaincue qu’un désir fort est un moteur extraordinaire pour avancer et se découvrir là où l’on ne se soupçonnait pas. »
Aurélie Saada n’avait pas pour but de passer à tout prix à la réalisation. Elle en a été la première surprise : « je pense que c’est le désir de cette histoire qui a fait de moi la réalisatrice de ce film, et non le désir d’être réalisatrice. J’ai même été surprise. Je pensais que la musique me comblait totalement, qu’elle me procurait tant de liberté, qu’elle me rendait totalement heureuse ; et puis c’est un peu comme avoir un deuxième enfant : quand on a un premier on se dit qu’on ne pourra pas en aimer un second autant, et pourtant ce qui se passe est étrange et magique, ce n’est pas notre cœur qui se divise, mais c’est notre cœur qui grandit, et on y découvre un espace encore plus grand qu’on ne soupçonnait pas. Pour moi le cinéma est venu se loger à cet endroit-là. »
C’est après un dîner qu’Aurélie Saada a eu envie d’écrire Rose. Au cours de ce repas, sa grand-mère, endeuillée par la mort de son mari, faisait la rencontre de Marceline Loridan-Ivens, rescapée des camps de concentration : « Marceline était une survivante dans tous les sens du terme. Elle était plus qu’en vie, elle réveillait les endormis. Elle avait une gouaille, un panache, une sensualité, un appétit de vie extraordinaire. J’ai vu ma grand-mère totalement chamboulée par la vision de cette femme libre et vivante. Elle était fascinée. J’ai senti dans son regard et vu sur ses joues qui devenaient roses qu’elle osait s’interroger sur le fait que sa vie n’était peut-être pas terminée et qu’il y avait des choses à vivre encore... […] Et j’ai rêvé à cette possibilité et à son aventure, à une révolution intime à un âge où l’on nous range, mais où l’on se range soi-même aussi, dans une dernière case. »
Avec ce film, la réalisatrice souhaitait explorer un sujet qui lui était cher et qu’elle avait déjà abordé dans sa musique : la pluralité du féminin. « Une même femme porte en elle des choses si complexes et contraires. J’aime penser qu’on a le droit d’être à la fois la maquillée et la démaquillée, la profonde et la légère, la maman et la putain, le viril et le féminin, et tant d’autres encore. La voix des femmes perturbe, la liberté des femmes perturbe, alors celle des grands-mères et des veuves n’en parlons pas ! (rire) Rose est inspirée essentiellement par les femmes de ma vie, mes grands-mères, ma mère, mes tantes, et par mon désir et mon bonheur immense de les voir, ou de les imaginer se libérer, renaître et se découvrir. »
Désireuse d’évoquer les injonctions que subissent les femmes, Aurélie Saada a choisi de mettre en scène une héroïne d’un âge avancé car cela lui « permettait d’aller au bout de mon idée et de pouvoir parler du fait que le désir est toujours présent dans la vie jusqu’au bout, et qu’il est terrible d’invisibiliser, d’étouffer ou de rendre tabou celui des femmes. » Un choix qui n’a pas toujours séduit lorsqu’elle a cherché des financements : « [on m’a] poliment expliqué qu’il serait judicieux que, pour des questions de « crédibilité », je « rajeunisse » un peu Rose. Mais qu’est-ce qui dérange à ce point dans le fait qu’une femme en âge d’être grand-mère décide de jouir de la vie comme elle l’entend ? Je ne suis pas une va-t'en-guerre, mais, et tant pis si je me répète, je trouve inacceptable qu’on puisse imposer aux personnes âgées et notamment aux femmes, de s’arrêter de mener leur vie comme elles l’entendent. »
Aurélie Saada a pensé à Françoise Fabian pour interpréter Rose dès qu’elle a achevé la première version du scénario. L’actrice a été aussitôt emballée par le projet, comme le raconte la réalisatrice : « Elle a pris ma main et m’a dit qu’elle voulait être cette femme, qu’elle était Rose, qu’il fallait que je lui promette qu’il n’y en avait aucune autre. Elle m’a dit qu’aujourd’hui le cinéma ne propose pas de rôles comme ça aux femmes de son âge, qu’elles ne sont plus bonnes qu’à jouer les grands-mères... Elle avait une envie absolue d’interpréter cette révolution intime. »
Aurélie Saada ne s’est pas contentée de mettre en scène Rose, elle en signe aussi la bande-originale : « Au départ j’ai hésité. Je me suis dit que je ne pouvais pas tout faire. Et puis j’ai bien vu que je n’arrivais à rien déléguer sur ce film, qu’il était mon bébé. J’avais besoin de donner naissance à tous ses recoins, toutes ses coutures, de glisser partout un peu de mon sang et de mes souvenirs. » L’une des ses filles, Shalom, âgée de 12 ans au moment de l’enregistrement, a aussi composé un des thèmes.