Avec Kompromat, Jérôme Salle voulait faire un film simple, centré sur les acteurs et restituant les émotions de son personnage principal de façon organique, sans artifice : « Pas d’effets gratuits, pas de “jouets” sur le plateau du genre grue, drone ou innombrables gadgets disponibles. Le film est peu découpé ce qui n’est pas forcément le plus simple car si vous faites un mauvais choix ça se voit tout de suite. »
Kompromat est un terme russe désignant des documents compromettants, authentiques ou fabriqués, utilisés pour nuire à une personnalité politique, un journaliste, un homme d'affaires ou toute autre figure publique. Si ce genre de manœuvres n'est pas rare en Russie, elles concernent d'ordinaire des Russes. Pour son film, Jérôme Salle s'est très librement inspiré d'une histoire vraie qui avait pour particularité d'avoir impliqué un Français, Yoann Barbereau. Ce dernier a relaté son périple dans le livre Dans les geôles de Sibérie.
C'est lors de la promotion de Largo Winch que Jérôme Salle a découvert la Russie. Il avait été frappé par la violence qui y régnait : « C’était à la fin des années 2000, à l’époque où Poutine n’avait peut-être pas encore tout verrouillé et nous ne nous déplacions jamais sans un garde du corps armé et un chauffeur... » Il y est retourné pour Largo Winch 2 et L'Odyssée et la violence restait palpable selon lui : « Le rapport à la violence, à la force physique, n’est pas le même que dans les démocraties occidentales. Il y a un vrai fossé culturel. » Il a également ressenti du mépris de la part de certains Russes envers les Occidentaux : « Pour eux, nous sommes des gens dépravés, décadents, faibles, qui se laisseront cueillir comme un fruit mûr le jour où ils le décideront. Un discours assez proche au fond d’un Zemmour chez nous avec ses théories sur la féminisation - associé au déclin - de nos sociétés. » Ces quelques séjours ont éveillé sa curiosité et lui ont donné envie de se pencher sur ce pays. Lorsqu'il a entendu parler de cette histoire vraie arrivée à un français victime d’un kompromat, il y a vu l’occasion d’écrire un thriller politique : « j’avais envie d’évoquer le fossé qui existe entre deux visions opposées du monde ».
L'action du film se déroule à Irkoutsk, une ville de Sibérie aux conditions climatiques rudes. Elle bénéficie d'une vie culturelle très riche car c’est là qu’avaient été envoyés les décembristes au début du XIXème siècle. Jérôme Salle développe : « Des officiers, des aristocrates russes qui avaient tenté une révolution pour imposer au tsar des réformes démocratiques. Mis en échec, ils ont tous été exilés avec leur famille à Irkoutsk et, installés là pour toujours, ils ont participé au développement culturel de la région. C’est aussi une ville qui se trouve à quelques mètres du magnifique lac Baïkal. Bref c’est une ville passionnante ! »
En raison de son sujet risqué, Kompromat n'a pas été filmé en Russie mais en Lituanie. Le tournage a été difficile car il s'est déroulé durant le confinement dû à la pandémie de Covid 19. Les membres de l'équipe n'avaient pas le droit de sortir de leur hôtel une fois la journée de travail terminée. « Gilles Lellouche qui aime les gens, la fête, a vécu un long calvaire mais au final je pense que cela a servi son personnage et le film. Il s’est retrouvé loin de sa famille, loin de ses amis, de ses repères, complètement isolé : comme Mathieu dans l’histoire… », note Jérôme Salle. Par ailleurs, le fait d'être masqué en permanence et de ne jamais voir les visages de l'équipe lituanienne a pesé sur le moral : « Quand vous tournez à l’étranger, avec une équipe locale, c’est essentiel de partager des moments hors plateau, de pots de fin de semaine, etc... Ça crée le lien indispensable. Là c’était impossible. Je garde le souvenir d’un tournage rude. »
Jérôme Salle connaissait peu Gilles Lellouche mais l'avait déjà dirigé dans son premier film, Anthony Zimmer, où il jouait l‘adjoint de Sami Frey. C'est après avoir achevé l'écriture du scénario que le réalisateur a cherché l'acteur capable de jouer le personnage « très français de Mathieu. Or Gilles est très très français... Au-delà de ce trait de caractère, c’est surtout un formidable acteur qui n’a cessé de se bonifier au fil des années. […] c’est un comédien dense, complexe et qui en plus suscite l’empathie ce qui est quand même une qualité essentielle pour le héros d’un film... »
C'est en voyant Cold War que Jérôme Salle a découvert Joanna Kulig : « Joanna possède ce charisme, cette énergie, cette beauté et cette personnalité incroyables... Pour ce personnage, je cherchais une actrice qui dégage cette complexité et pas le cliché de la femme blonde russe qu’on a vu dans les thrillers depuis des années... » L'actrice, dont la langue maternelle est le polonais, communiquait en anglais avec l'équipe et jouait en russe et en français. Ce n'est pas la première fois que l'actrice relevait ce défi : en 2011, elle devait jouer en français alors qu'elle ne connaissait pas du tout la langue de Molière dans La Femme du Vème de Pawel Pawlikowski, une co-production franco-anglo-polonaise. Quelques mois plus tard, elle tournait avec Juliette Binoche dans Elles : « pour moi, faire du cinéma avec des artistes français est naturel ».
Jérôme Salle a coécrit Kompromat avec l'écrivain Caryl Férey, dont il avait adapté en 2013 le roman Zulu. Les deux hommes sont restés en contact depuis cette expérience. Alors que Salle découvrait l'histoire vraie qui a servi de base au film, Férey écrivait Lëd, un roman se déroulant à Norilsk, en Sibérie. Passionné par la Russie, en particulier par les dessous du règne de Poutine, il s'est vu proposer par Salle de coécrire Kompromat.
Le personnage de Svetlana est né de l'envie de Caryl Férey d'ajouter une dimension amoureuse au récit pour que ce ne soit pas juste un film d’aventures ou un polar. Son prénom est directement inspiré de Svetlana Alexievitch, auteure biélorusse et Prix Nobel de Littérature dont Férey admire l’œuvre.