Après La Bostella (1999), Akoibon (2005) et Ouvert la nuit (2017), Edouard Baer signe avec Adieu Paris son quatrième long métrage. A l'origine, le metteur en scène envisageait de réaliser un semi-documentaire sur des gens qu'il admire. Il explique :
"Souvent, les générations d’acteurs admirent celle d’avant, pour le travail des acteurs mais aussi pour leur personnalité. Il y a cette impression qu’ils sont aussi fascinants à la ville que sur scène, des types qui peuvent tenir le coup dans des dîners face à des buveurs."
"Il y a eu la bande Belmondo-Rochefort-Marielle, puis Poiret-Serrault, Piéplu, Galabru... j’ai beaucoup aimé tous ces gens-là. Quand j’ai commencé ce métier, je voulais les rencontrer, être avec eux. J’aimais ce qui allait avec la vie, l’idée de dîner ensemble..."
"Et puis j’avais l’envie aussi peut-être de filmer une bascule de temps, la fin d’une époque. Pas seulement sur les acteurs mais sur certains personnages de la vie sociale parisienne, la vie de café. Car ce type de figures des nuits parisiennes n’existent plus beaucoup."
Edouard Baer a écrit Adieu Paris avec Marcia Romano, une jeune scénariste à l'origine étrangère à ce milieu culturel masculin parisien issu des années 1960/1970. Les rapports entre les personnages l’ont toutefois amusée : "Cette façon de s’aimer tout en se détestant... Elle a aussi poussé les choses qu’elle trouvait drôles. Elle ne s’est pas projetée dans ce milieu par rapport à son vécu mais par rapport au cinéma qu’elle a aimé comme par exemple les comédies italiennes des années 60/70, avec ces hommes de mauvaise foi qui se gueulent dessus. Pour une jeune femme, il était amusant de regarder des vieux messieurs indignes. Comme je suis un peu brouillon, Marcia m’a aidé à éclaircir les choses", se rappelle le cinéaste.
Adieu Paris est un quasi-huis clos. Avec le directeur de la photographie Alexis Kavyrchine, Edouard Baer avait pour référence le repas au début de Husbands de John Cassavetes. Il confie : "Ils sont là, ils chantent, on ne sait pas si c’est le jour ou la nuit, on ne sait pas si c’est drôle ou cruel... On s’est beaucoup inspiré de cette atmosphère. Sinon, on a poussé les couleurs, les sombres, le mi-jour/mi-nuit si bien qu’on ne sait pas combien de temps dure ce repas. Je ne peux même pas dire combien de prises on faisait, ça tournait tout le temps. Alexis a mis en place un dispositif génial avec ses trois cadreurs qui permettait de rendre ce repas extrêmement vivant. Il m’a beaucoup aidé à transformer ce tournage en happening permanent."
Edouard Baer voulait donner au film une impression de fluidité, comme si les choses étaient filmées en direct : "Je déteste quand la caméra est placée, fixe, j’adore quand elle est en retard. Les cadreurs ont filmé à l’instinct, à l’oreille... Comme dans un repas dans la vie, je voulais que tout le monde ait le droit de parler en même temps. Les dialogues étaient écrits, mais après, il faut que ça se remorde, que le système du scénario soit perturbé. Parfois je disais à Damiens «dis à Arditi et Murat qu’ils sont chiants » et du coup Arditi et Murat réagissaient, mais je ne l’avais pas dit aux cadreurs qui devaient ensuite rattraper la situation."
Adieu Paris marque de nombreuses retrouvailles. Parmi elles, nous pouvons compter celle d'Edouard Baer et Benoît Poelvoorde : le premier a dirigé le second dans Akoibon, avant de lui donner la réplique dans Raoul Taburin. Le cinéaste a par ailleurs joué avec Gérard Depardieu dans Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre, Combien tu m'aimes ?, Astérix & Obélix : Au service de Sa Majesté, Les Invincibles et Turf.
Adieu Paris est une comédie mais aussi un film mélancolique, hanté par la vieillesse et la mort. D'ailleurs, Edouard Baer voit ce déjeuner comme la dernière réunion des personnages : ils s’aperçoivent qu’ils n’ont plus tellement de raisons de se retrouver. Le réalisateur explique :
"Adieu Paris c’est adieu à une époque, adieu à la vie de café comme lieu de conversation gratuite avec des gens qui étaient disponibles pour parler. Je dis aussi adieu à des gens en espérant ne pas être complaisant avec eux. Je les aime et je les déteste en même temps."
"D’ailleurs, je déteste la nostalgie, j’ai été entouré très jeune par des gens nostalgiques. Ça m’amusait de parler aux vieux messieurs dans les cafés, des vieux excentriques, des personnages, c’était plus de la fascination que l’angoisse de la vieillesse ou de la mort."
"Aujourd’hui, on n’est plus obligé de vivre à Paris pour exister, et la pandémie a accentué cela. Je dis 'Adieu Paris' parce que je n’y retrouve plus la même curiosité qu’avant... Mais peut-être ai-je perdu la mienne. J’ai trop vécu dans cette ville. Dès que je suis ailleurs je redeviens curieux de tout."
A noter la présence de Yoshi Oida, un acteur japonais venu à Paris qui a été dans la troupe de Peter Brook et qui continue à jouer au théâtre. Il a écrit trois livres théoriques sur l'art dramatique. "Il est tellement apaisé que pendant la représentation du Maharabatha de Brook, il dormait une heure et demie sur scène ! Il ne faisait pas semblant, il dormait vraiment et se réveillait pour ses répliques. En plus d’être un immense acteur, il représente les gens qui ont rêvé Paris", se souvient Edouard Baer.