Dans les années 2000, un couple d’amis proches de Philippe Le Guay a décidé de vendre leur cave à un homme qui souhaitait entreposer des archives. Ils ne se sont méfiés de rien et ont donné la clé en même temps qu’ils ont encaissé le chèque. Ce qu’ils n’avaient pas prévu, c’est que l’homme s’installerait physiquement dans la cave. Le réalisateur se rappelle :
"Cette vente banale s’est transformée en un véritable cauchemar. L’acquéreur s’est révélé être un néo-nazi pur et dur, un des piliers du négationnisme en France. Quand le couple a voulu annuler la vente, c’était trop tard. Sans le savoir, ils avaient scellé la vente puisque dans le droit français 'tant qu’il y a accord sur la chose et sur le prix, la vente est conclue'. Même si l’acte notarié n’a jamais été signé."
"Mes amis ont entrepris de casser la vente, ils ont eu recours à une première procédure, il y a eu un procès... et ils ont perdu. Il a fallu réengager un autre avocat et reprendre tout à zéro. Ça a duré plus de deux ans. Je me suis intéressé à cette histoire en 2009, alors que l’homme de la cave venait d’être expulsé. Mes amis ont subi un tel traumatisme que leur couple a explosé, alors qu’ils s’adoraient.
Avec L'Homme de la cave, François Cluzet, habitué aux personnages sympathiques, retrouve un registre dans lequel on l'a vu plus rarement. Le comédien s'était notamment illustré en homme particulièrement inquiétant dans L'Enfer de Claude Chabrol, en 1994.
Le couple a autorisé Philippe Le Guay à raconter son histoire, à condition de ne pas l'exposer. Le metteur en scène a ainsi opéré deux changements majeurs. Le premier a été sur le personnage de Fonzic : ce n’est plus un nazi objectif mais un professeur d’histoire, radié de l'Education Nationale pour négationnisme. Le deuxième concerne l’identité du couple :
"Dans l’histoire vraie, ils étaient juifs tous les deux, des membres de leurs familles avaient été déportés. N’étant pas juif moi-même, j’ai senti la nécessité de créer un couple mixte. Ainsi le personnage de Bérénice Béjo n’est pas juif, mais elle semble encore plus affectée que son mari. Elle est touchée viscéralement, elle est en proie à des visions… La haine l’atteint frontalement."
S'il y a eu d’innombrables nazis au cinéma, le négationniste y est plus plus rare car plus difficile à représenter. Philippe Le Guay raconte : "Un film anglais Le Procès du siècle met en scène un Faurisson anglais, hautain et ignoble. J’ai voulu prendre le contrepied de ce personnage. Mon Fonzic est un misérable, un homme démuni, qui n’a nulle part où aller. Pendant l’Occupation, pour échapper aux rafles, de nombreux juifs se cachaient dans les caves… C’est du reste cette histoire que raconte Truffaut dans Le Dernier métro."
Pour ce thriller, Philippe Le Guay a voulu sortir de sa zone de confort et n'a pas fait appel à Jean-Claude Larrieu, directeur de la photographie avec lequel il a collaboré sur ses cinq derniers films. Il a choisi Guillaume Deffontaines (Tout ce qui brille, Ma Loute, etc.) : "Sur ce film, j’ai renoncé à tourner à deux caméras et suis revenu à la caméra unique. Je souhaitais affirmer des cadres plus rigoureux, avoir une plus grande souplesse. La collaboration avec Guillaume m’a apporté cette mobilité du cadre, et le choix des tournages en basse lumière, quand nous circulons dans la cave", raconte le cinéaste.
Philippe Le Guay a voulu représenter la cave au centre du film de manière angoissante, avec une chaudière assimilée à une bête tapie : "On parle souvent des boyaux de la terre, nous avons reconstitué un labyrinthe, un chemin de couloirs, avec les canalisations qui suintent. Cet imaginaire de la cave, qui évoque Edgar Poe ou Kafka, renvoie aussi à un grand cinéaste comme Fritz Lang."
"Il suffit de se souvenir de nos impressions d’enfant quand nous devions aller à la cave. La peur est viscérale. C’est un lieu qui s’adresse plus à nos tripes qu’à notre intelligence. Car la cave est un lieu d’angoisse et de fantasme : chaque fois que la caméra s’y aventure, on a le sentiment de traquer un fantôme", confie le cinéaste.
"Le scénario le voulait en même temps simple et complexe. Il est dangereux, insidieux, pervers, lâche et il peut être serviable, il arrose les plantes dans la cour de l’immeuble, il sait s’y prendre et les avis sur lui dans l’immeuble s’en trouvent partagés."
Avec L'Homme de la cave, Philippe Le Guay retrouve François Cluzet qu'il avait dirigé dans Normandie nue (2018). Au départ, le réalisateur n'avait pas du tout pensé à lui pour Fonzic. "Un jour, j’ai retrouvé François à déjeuner, il est arrivé avec une masse de cheveux gris très longs, il avait une tête vraiment inquiétante. Avec une présence trouble, quelque chose de sauvage."
"Pendant tout le déjeuner je me suis retenu de lui parler de ce personnage, et puis j’ai craqué à la fin. Je lui ai envoyé le scénario et il l’a lu du jour au lendemain. Comme je lui demandais si ça ne l’inquiétait pas de jouer un type aussi dangereux, il m’a répondu : "Si nous les acteurs nous ne jouons pas des salauds, qui va les jouer à notre place ?", se remémore Philippe Le Guay.