Anne Le Ny s'est inspirée de l’affaire Suzanne Viguier (2000), qui l'a beaucoup marquée. Cette dernière, dans laquelle un homme accusé de la disparition de sa femme est soutenu par ses enfants, a nourri la réflexion de la réalisatrice sur l’ambiguïté des émotions et la difficulté à faire des choix dans des situations intenables. Elle se rappelle :
"J’ai mis du temps à écrire, et j’ai beaucoup réfléchi pour trouver la place de la jeune fille. Adopter le parti du père était compliqué et j’ai pris celui d’une fille qui n’a pas de place auprès de son père et peut éprouver le désir inconscient de voir disparaître sa belle mère. Je suis moi même belle mère avec des beaux enfants charmants."
"Je sais donc qu’à une relation affectueuse peuvent se mêler des sentiments inconscients assez ambivalents, comme dans les contes de fées."
La plupart des scènes du Torrent sont courtes et vont droit à l’essentiel, comme l'explique Anne Le Ny : "Ce n’est pas le tempo d’une famille, mais le tempo d’une mécanique qui broie les rythmes biologiques de tout le monde. Les repas, le sommeil, les nuits sont bouleversés par la succession des événements. Le tempo du drame qui s’abat s’impose et dérègle tout."
Pour le personnage d'Alexandre, qui "glisse sur une mauvaise pente", Anne Le Ny voulait un acteur qui vienne de la comédie. Elle a alors choisi José Garcia, lequel avait précédemment gentiment refusé un rôle que la cinéaste lui avait préalablement proposé. Elle se souvient :
"José Garcia avait gentiment refusé un rôle que je lui avais proposé, et j’ai retenté ma chance car pour ce personnage qui glisse sur une mauvaise pente, je voulais un acteur qui vienne de la comédie. Je connaissais ses capacités dramatiques pour l’avoir vu dans Le Couperet de Costa-Gravas, mais son côté clair et sympathique m’assurait que les spectateurs ne sentiraient aucune ambiguïté chez le personnage."
Pour Anne Le Ny, d'origine bretonne et habituée aux horizons maritimes, les paysages montagnards sont oppressants. C'est la raison pour laquelle elle a choisi de situer l'intrigue du Torrent dans les Vosges : "Et puis, ravins et torrents sont des éléments naturels propices aux accidents… Les Vosges, avec des ciels lourds et bas, ont un côté rugueux."
La musique est également un personnage à part entière du film. Anne Le Ny confie : "Je ne suis pas du tout musicienne, et il ne m’est pas toujours aisé de faire comprendre mes attentes. Mais Benjamin Esdraffo est venu très tôt au montage et il a rapidement proposé le thème du générique de début. J’ai aimé."
"Nous avons pu échanger, je lui ai parlé dramaturgie et il a saisi ce que je voulais que le spectateur ressente et à quels endroits. Puis, il a réussi à le transcrire musicalement. J’ai fait le choix de ne rien superposer aux dialogues. La musique est plus longue que celle de mes films précédents !"
La maison est un personnage à part entière du film. Anne Le Ny et son chef décorateur Stéphane Taillasson ont pu exploiter une demeure possédant des arrière-plans partout et une circulation atypique. Elle ne correspond pas à ce que la réalisatrice avait imaginé au départ, mais les possibilités qu’elle offrait l'ont séduite :
"Nous avons apporté des couleurs chaudes, solaires, pour qu’elle incarne un cocon chaleureux, le paradis perdu de la mère disparue. Pourtant, sa circulation particulière qui permettait aux acteurs d’arriver d’en haut ou d’en bas m’a aidée à introduire une forme de danger on ne sait jamais d’où quelqu’un peut surgir ou vous surveiller."
Qu'il s'agisse de Bertrand et Lorraine dans Ceux qui restent, Lucien dans Les invités de mon père ou encore Marithé dans On a failli être amies, les personnages des films réalisés par Anne Le Ny sont souvent amenés à trahir. Une constante qui se retrouve dans Le Torrent :
"Pour autant, on comprend leurs motivations. J’ai tardivement pris conscience qu’effectivement « trahir » est un thème assez central pour moi. Je pense que cette problématique trouve ses racines dans mon histoire familiale", développe la cinéaste, en poursuivant :
"Mon père, issu d’un milieu ouvrier, a fait des études et est devenu professeur d’université. Mais cette ascension sociale a été hantée par la crainte de devenir un bourgeois, un « social traître ». Nous avons grandi entre deux milieux sociaux et j’ai donc hérité de cette obsession."
"Mon grand père, lui, était résistant il est mort en camp de concentration après avoir été dénoncé par un gamin de 16 ans sous la torture il a donc été trahi par quelqu’un de bien plus courageux que la moyenne. Il n’y a pas que des mauvaises personnes qui commettent des actes terribles."