François Pirot voulait écrire une série de personnages qui n’arrivent pas à accepter ce qu’ils sont ou ce qu’ils sont en train de devenir. Le cinéaste précise : "Leur insatisfaction est à l’image de celle, plus large, de la société dont ils font partie. Une société privilégiée, mais qui peine à se réinventer, à se construire des idéaux ou des croyances afin d’aborder l’avenir avec un minimum d’enthousiasme."
"Ailleurs si j’y suis a été écrit bien avant la pandémie, mais il est vrai qu’on m’interroge systématiquement sur ce parallèle lors des projections publiques du film. La pandémie a fonctionné comme un révélateur de problématiques et d’insatisfactions qui étaient déjà bien présentes avant son arrivée. Elle les a simplement fait ressortir de façon plus aiguë, du fait qu’aujourd’hui on ne peut plus les nier."
François Pirot est un réalisateur et scénariste belge. En tant que scénariste, il a co-signé plusieurs scénarios de long métrages de fiction et collabore aussi comme consultant à l’écriture sur de nombreux projets. Ailleurs si j’y suis est son deuxième long métrage de fiction en tant que réalisateur, après Mobile Home, sorti en 2012, et un long métrage documentaire, Eurovillage, sorti en 2015.
Le film pose un constat assez sombre sur un sentiment de perdition et, pourtant, il est fantaisiste et drôle. Au niveau de la tonalité, François Pirot a ainsi voulu atteindre une forme de légèreté. Il précise : "Dans le bon sens du terme, c’est-à-dire une légèreté qui nous permette de considérer des choses pesantes sans qu’elles ne nous écrasent sous leur poids…"
"Et cela en les regardant de manière un peu décalée, en gardant vis-à-vis d’elle une distance amusée et une forme d’ironie tendre. En tout cas, c’est ce que j’ai essayé de faire. Mais cet humour est aussi induit par la nature de mes personnages. Ils sont privilégiés, issus de la petite-bourgeoisie, et peuvent se permettre le « luxe » de la crise existentielle."
"Prendre leurs états d’âmes trop au sérieux et faire de leurs angoisses un drame noir ne me semblait pas juste… D’autant plus que je raconte, à travers le trajet d’un des personnages, qu’un des moyens de s’apaiser est de parvenir à rire de soi-même."
Ailleurs si j’y suis comporte plusieurs personnages principaux. François Pirot avait envie de se confronter à ce type d’écriture parce qu'il aime les changements de point de vue que cela implique, mais aussi parce que cela lui permettait de rendre principaux des personnages qui seraient restés secondaires : "On parle souvent de film choral quand le protagoniste principal peuvent 'chanter' en choeur."
"Ici, ce n’est pas vraiment le cas, certains personnages ne se croisent jamais. La structure du film ressemble plus à celle d’une fugue. Après l’exposition du thème par la voix de Mathieu, les autres voix arrivent l’une après l’autre, et se superposent, en développant chacune des variations sur le thème principal", explique le metteur en scène.
Pour la bande originale, François Pirot tenait à travailler avec un compositeur de musique classique. Il s'est ainsi adressé au compositeur belge Benoît Mernier. "Il a écrit plusieurs opéras, mais n’avait jamais travaillé pour le cinéma. Je suis très content de son travail ; le climat du film lui doit beaucoup", confie-t-il.
Pour coller à la tonalité, qui se situe entre le drame et la comédie, François Pirot voulait trouver des interprètes qui soient à la fois à l’aise dans le registre comique et dramatique. Il confie : "Il fallait qu’ils amènent une dose de décalage et de burlesque, afin de ne pas trop alourdir les personnages."
"Comme ils se comportent de façon régressive, égoïste ou complaisante, le risque de les voir se faire rejeter par le spectateur était réel. Avec des personnalités attachantes comme celles de Jackie Berroyer, Jean-Luc Bideau, Suzanne Clément ou Samir Guesmi, je savais que je pouvais éviter cet écueil."
"Mathieu est un peu à part, et je remercie vraiment Jérémie Renier d’avoir accepté ce rôle, qui, sur le papier, pouvait peut-être sembler trop statique pour un acteur de sa trempe. Mathieu se comporte dans la forêt comme si c’était tout à fait naturel pour lui d’y être, comme s’il était lui-même un animal des bois."
"Il est uniquement concentré sur le moment présent et il n’y a dans ses répliques aucun sous-texte ni sous-entendu. Atteindre cette simplicité et cette « présence » pure, afin que les autres personnages venus le voir soient « désarmés » et ne pensent même pas à le sortir du bois, est une vraie performance."