Ann Sirot et Raphaël Balboni n'ont pas conçu Une vie démente comme un film spécifiquement axé sur la maladie d'Alzheimer, mais davantage comme une réflexion sur la manière d'embrasser cette problématique. La première explique : "Cette maladie est une vraie difficulté, non tangible, qui permet une multitude de situations à la fois très complexes, très quotidiennes et très humaines auxquelles on peut tous être confrontés". Le second poursuit :
"Ça s’est vérifié avec le COVID. Lors de la sortie belge, beaucoup de spectateurs nous ont parlé du contexte autour de la maladie, de la nécessité de continuer à avancer, de vivre avec, plus que de la maladie elle-même. Je me souviens de ces parents d’un enfant autiste qui nous ont dit s’être totalement retrouvés dans notre film alors que ce sont des maladies différentes. Le point de départ du film est un questionnement sur notre rapport à la vie."
Le duo Ann Sirot/Raphaël Balboni se forme en 2007 autour du court-métrage Dernière Partie, un thriller décalé qui pose les bases de l’univers qu’il développera dans ses courts-métrages suivants : Juste la Lettre T (CM, 2009), La Version du Loup (CM, 2011), Fable Domestique (CM, 2012).
Un univers étrange, un cinéma hybride à l’onirisme délirant et joyeux. Avec Lucha Libre (CM 2014), Ann Sirot et Raphaël Balboni innovent en construisant leur scénario autour des comédiens, à partir de scènes non dialoguées au préalable et d’improvisations travaillées en répétition.
Avec la même méthode, ils réalisent Avec Thelma, Magritte du meilleur court-métrage en 2018. Une vie démente, présenté en ouverture du Festival de Namur en 2020, est leur premier long-métrage. En 2020, Ann et Raphaël mettent en scène leur septième court-métrage, Des choses en commun.
Ann Sirot et Raphaël Balboni travaillent selon une méthode particulière, en partant d’une base scénarisée mais sans dialogues écrits au préalable, laissant la place à l’improvisation pour les comédiens. Le duo de cinéastes explique :
"Faire des films est très important dans notre relation, c’est quasiment le cœur de notre lien. Réaliser Une vie démente, c’était quelque part continuer à faire vivre ce que l’on a vécu et qui a été en fait très « punchy », très punk. L’exprimer à travers Une vie démente, c’est une manière de travailler sur cette période de notre vie, la tirer vers le haut. Réussir à en faire un film nous permet d’avancer, de nous nourrir de cette expérience, y compris sur un plan professionnel. Il ne fallait pas le séparer des mésaventures de notre vie privée, mais au contraire, l’y associer pour pouvoir mieux recentrer les choses."
Certaines séquences, face caméra, tiennent du dispositif d’installation d’art contemporain. Ann Sirot confie : "On a toujours dit à Jo Deseure, l’actrice qui joue Suzanne, qu’il y avait une chose que sa maladie ne tuerait jamais : la joie que lui procure son appétit pour l’art. D’ailleurs ce personnage essaie toujours d’activer les gens pour qu’ils s’expriment de manière artistique."
Raphaël Balboni ajoute : "Là aussi c’est lié à une réalité, ma mère était directrice de centre d’art contemporain. Nous voulions conserver cette réalité comme point de départ. Il était essentiel de pouvoir être réaliste sur ce plan, donc nous avons travaillé avec un centre dont le directeur nous a beaucoup soutenus et avec une véritable plasticienne."
Ann Sirot et Raphaël Balboni ont rencontré Stéphanie Rolland pour réfléchir aux scènes qui se déroulent dans le centre d’art. Elle a ainsi montré aux cinéastes "Dead Star Funeral", une œuvre où un papier se désagrège, qui collait bien avec le propos métaphorique d’Une vie démente. Raphaël raconte :
"On a décidé de l’utiliser au-delà des scènes prévues pour l’intégrer pleinement. De même, la maison de campagne du film est celle d’un plasticien qui avait exposé dans le centre d’art où on a tourné. Pour ce qui est des scènes face caméra, cela tient plus de l’envie de sortir de certains codes pour représenter divers corps de métiers (médecins, assistantes sociales, banquiers...) dont on sent toujours au cinéma que ce sont des comédiens dans des décors."
"Pendant les répétitions, Ann et moi donnions la réplique aux comédiens et tout fonctionnait très bien, sans aucun accessoire. Comme cela fonctionnait bien on l’a gardé. C’est nous qui faisons les voix de tous les interlocuteurs. De plus, ce dispositif amplifiait les désinhibitions et la fantaisie qui s’emparent de Suzanne. Il provoquait comme une contamination formelle du film."