La filmographie de Philippe Lioret, auteur assez rare mais constant tout autant que cinéaste du réel et des sentiments approuvé, ressemble presque à un sans-faute. Du culte et magnifique « Je vais bien, ne t’en fais pas » en passant par le césarisé « Welcome » ou le moins connu mais tout aussi beau « Le fils de Jean », tous ces films nous ont touchés, émus et embarquées dans leur tourbillon d’affects et d’émotions. De le voir s’attaquer à une transposition de la plus célèbre des pièces de Shakespeare, en l’occurrence « Roméo et Juliette », nous semblait quelque peu cavalier voire étrange de la part de cet auteur. Et bien on aurait eu tort de ne pas lui faire confiance tant il nous prouve encore une fois la maestria et la perfection de son cinéma. Il parvient à faire sienne cette illustre pièce en gommant certains aspects. Notamment et forcément les côtés trop théâtraux mais aussi ses envolées lyriques et romantiques, parfois poussives et propres à l’époque où elle se déroule, pour l’ancrer dans le réel de la France d’aujourd’hui.
« 16 ans » est donc à la fois un puissant drame social où la différence de milieu et de religion est un frein à l’amour mais où la puissance de celui-ci n’a que faire des embûches sociales et culturelles. En une heure et trente minutes top chrono, il parvient à nous faire pleurer par la beauté et la tristesse de ce qui se joue, à nous faire frémir par l’engrenage infernal dans lequel les deux tourtereaux se retrouvent et à nous faire réfléchir par les tenants et aboutissants de la fracture sociale qui impactent sur la relation des deux protagonistes. Et comme toujours chez le cinéaste, très grand directeur d’acteurs, tout sonne juste, tout raisonne vrai. Dès le départ on croit à ce coup de foudre qui nous fait vibrer comme à seize ans. Durant tout le film, on a une boule au ventre à chaque nouvel élément perturbateur d’une relation qui devient quasiment impossible.
La bonne idée de Lioret est de n’avoir choisi que des acteurs quasiment inconnus, notamment dans les rôles principaux, facilitant le processus d’identification et ne laissant aucune idée préconçue sur un acteur nous détourner de son rôle et de ce qui se joue. L’osmose entre les deux jeunes acteurs principaux est d’ailleurs indéniable, la direction de casting a bien fait son travail. De plus, tous les rôles secondaires sont impeccablement joués, évitant les clichés (notamment Nassim Lyes dans le rôle du grand frère invasif et plein de haine). Et ce qui est fort c’est que l’on peut se mettre à la place de chacun des personnages et les comprendre, les frontières entre le bien et le mal, la raison et les torts étant parfaitement poreuses ici. On n’en déteste aucun, leurs motivations imprégnées par le rang social et de différences culturelles sont toutes légitimes et compréhensibles. Et lorsque la fin arrive, on est en miettes comme les protagonistes, écœurés par le gâchis auquel on vient d’assister. Jusqu’aux scènes d’épilogue, toutes plus édifiantes et rageantes les unes que les autres. « 16 ans » est un petit grand film et ces Roméo et Juliette des temps modernes nous ont déchiré le cœur.
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