J’ai décidé de commencer l’année cinéma 2023 en compagnie d’un de mes réalisateurs préférés : Philippe Lioret. Il propose avec « 16 ans » une relecture du mythe de « Roméo et Juliette » à la sauce France 2023. Sur le papier, honnêtement, on se dit que ce n’est pas gagné, que c’est presque un sujet éculé, que « West Side Story » est passé par là et a « tué le game ». Sauf qu’en sortant de la salle, on est obligé de se rendre à l’évidence : c’est un pari sacrément gagné pour « 16 ans ». Le film n’est pas très long, à peine 1h40 et il en parait plus. Non pas que l’on s’ennuie ni qu’il y ait des longueurs, mais ce film, qui commence comme une comédie adolescente, empile les scènes de plus en plus anxiogènes jusqu’à devenir quasiment irrespirable. Techniquement le film est parfaitement tenu, il y a de jolis plans, des contre champs efficaces, des caméras à l’épaule qui donne parfois une impression d’urgence. Il y a une belle poignée de scènes fortes, parfaitement mise en scène
(la scène du scooter et de la voiture, la scène du RER à la fin) et je fais une petite mention spéciale au tout dernier plan, dans le supermarché, qui est un pur crève cœur : même si c’est une scène que je voyais un peu venir, c’est peu dire qu’elle clôture le film comme un coup au plexus !
Au casting, la délicieuse Sabrina Levoye et le charmant Teïlo Azaïs forment un couple parfaitement naturel et crédible. Sabrina Levoye prend un petit peu le dessus sur son partenaire par une composition d’un naturel désarmant et qui promet pour la suite de sa carrière. Gros point positif, les seconds rôles sont très importants, très écrits et très puissants, à commencer par Jean-Pierre Lorit et Nassim Lyes, qui crèvent l’écran dans deux rôles opposés mais d’égale puissance. Arsène Mosca, Fejria Deliba ou encore Meryem Akheddiou complètent ce joli tableau. Même quand le rôle est petit, il est écrit, il est tenu, il est important. Les amoureux s’aiment comme s’ils étaient seuls au monde, c’est normal, ils ont 16 ans, ils sont insouciants, ils font des mauvais choix, prennent des risques fous. Mais ils ne sont pas seuls au monde, et le monde qui les entoure empiète sur leur tête à tête, jusqu’à prendre toute la place, et ce monde est sans pitié. Lioret colle à l’histoire de Roméo et Juliette, on y retrouve une scène de balcon, le personnage de la bonne amie bienveillante (ici une professeure de français), il y a des amis qui trahissent, une violence qui entraine une nouvelle violence. Et tous ces éléments se fondent dans l’histoire contemporaine de Nora et Léo avec une facilité qui étonne presque. C’est là qu’on se rend compte que ce mythe fonctionne et fonctionnera toujours partout, à toutes les époques et dans toutes les cultures ! Mine de rien, le film brasse bien plus de choses qu’une histoire d’amour contrariée entre deux adolescents. Il est question de communautarisme culturel mais surtout d’entre-soi social, de racisme inconscient, d’impunité et de dérive délinquante.
Certaines scènes-miroir sont très pertinentes, comme les deux entretiens avant licenciement, d’une ironie et d’une cruauté parfaite. Dans « 16 ans », les gens en (petite) position de pouvoir (Tarek sur sa sœur, Franck dans son hypermarché) finissent toujours par se retrouver devant un petit pouvoir plus fort qu’eux (des créanciers, un conseil d’administration). Cela ne fait que renforcer leur rancœur et les encourager à faire retomber cette rancœur sur plus faible qu’eux.
Le prix à payer pour sortir de cette spirale infernale est exorbitant
et les deux familles vont devoir le payer cash
. On sort un peu lessivé de « 16 ans » mais avec plein de sujets de conversation tant le film embrasse de problématiques. Il a suffit à Philippe Lioret de refaire « Roméo et Juliette » dans une ville de banlieue parisienne pour peindre une toile géante, celle de la société française de 2023 avec quasiment toutes ses problématiques : du chômage au communautarisme, du racisme à la peur du terrorisme, de la cruauté du marché du travail jusqu’à la tentation des extrêmes
(«Il existe d’autres listes »)
. Si le premier film vu en 2023 donne le ton de toute l’année cinéma, ce sera une très belle année !