Sa sortie en salle française a été, pour un temps, incertaine. Des doutes pouvaient déjà planer autour d’une œuvre qui a été lue et relue ponctuellement, que ce soit sur les écrans ou à l’opéra. Joe Wright n’est pourtant pas le dernier choix de la MGM, lui qui est à présent un habitué des adaptations littéraires (Orgueils et Préjugés, Reviens-moi, Le Soliste, Anna Karenine, Pan) et qui a su mettre en scène l’éloquence et les déviances de Churchill (Les Heures Sombres). Malheureusement, il en faut plus pour satisfaire le caprice d’une pièce qui ne réclame qu’une explosion émotionnelle, ainsi que d’amplifier les tirades clés et d’en explorer le panache. La désillusion est totale pour la scénariste Erica Schmidt, qui adapte sa propre comédie musicale, aux côtés de son conjoint Peter Dinklage dans le rôle-titre et Haley Bennett comme Roxane, ici conjointe du réalisateur. Tout cela est pensé dans une intimité et une sincérité qui questionne là où il faut, mais dont on recherchera constamment l’élan et le souffle d’un récit conquérant.
Nous découvrons ainsi Cyrano de Bergerac, dont la culture, l’autodérision et l’humour parviennent à défaire les insultes crasseuses, limitées et surtout eu inspirées. La difformité nasale n’est plus au goût du jour et on déplace la problématique vers une réflexion plus profonde, où les valeurs, les complexes et la grandeur du personnage seront sollicités. Les mots seront les armes les plus aiguisées, du moins sur le papier et avant que l’on vienne tout surligner, à l’image d’un duel qui manque de marier le mouvement et le verbe. La complicité est fine et ne laisse pas son héros développer une énergie suffisante afin de rendre justice aux alexandrins, oubliés et noyés dans la solitude de ce dernier. L’arrivée de Christian (Kelvin Harrison Jr.) pourrait alors catapulter l’ivresse de Cyrano pour sa belle, mais ce sera au détour d’un pacte faustien qu’ils se font mutuellement, pour les faveurs de la tendre Roxanne, jeune amoureuse et ironiquement déconnectée de la réalité de l’époque. Alors qu’elle aspire à l’amour véritable, tout comme une forme d’indépendance patriarcale, c’est pourtant vers les apparences et les malheureuses comparaisons qu’elle se tourne.
Vient alors se greffer le comte de Guiche (Ben Mendelsohn), qui semble aussi inoffensif que caricatural. Que ce soit dans l’ombre ou à la lumière, on note un déséquilibre permanent dans la direction artistique, qui sublime les plans, au milieu de personnages fiévreux et en décalage avec le ton musical imposé. Wright s’essouffle certainement dans un élément théâtral qui lui échappe, où l’irruption musicale vient trancher, voire remettre à zéro, les bases d’une tension qu’il installe. Le sentiment n’y est pas et c’est un souci qui empire avec le parti-pris de surcuter les chants, afin d’enchaîner les portraits pop-modernes de la tragédie. Ce qui n’est pas pour déplaire et la plupart des libertés prises conduisent à un nouveau cheminement intéressant, mais si c’est pour camper derrière une ballade monotone, alors non merci. Il en résulte une illustration ringarde, sans transcendance et sans l’âme du poète, à l’image d’un Christian qui cabotine déjà plus qu’il n’en faut.
En somme, « Cyrano » embarque une galerie de personnages désincarnés, de même que les scènes de chants et de danses qui héritent d’un montage clip très peu inspiré. Une partie du casting peut encore sauver la mise, mais absolument pas le naufrage et le sacrifice d’un héros qui a bien plus d’une dizaine de contraintes à affronter. Wright et Schmidt jouent avec des mots qui les dépassent sous un format qu’ils n’attendaient pas aussi descriptif qu’un cap. Que dis-je ? Une péninsule. Le célèbre personnage d’Edmond Rostand est donc mal servi dans cette ultime et douteuse proposition, là où celle de Jean-Paul Rappeneau trône toujours au sommet de sa tragédie.