Le réalisateur Geoffrey Couanon a travaillé, adolescent, sur les chantiers de son père qui construisait des bâtiments industriels. Il a été confronté, comme les protagonistes de son film, à l’étendue des terres que détruisent ces centres commerciaux, qu’il a pourtant beaucoup fréquentés : « Quand on est adolescent, comment se positionner par rapport à ces enjeux, par rapport à ses proches ? Une question qui se complique encore selon le milieu socio-économique où l’on grandit. » Intéressé par ce sujet en tant que réalisateur mais aussi en tant qu’animateur en banlieue parisienne, Couanon a décidé d’y consacrer un documentaire : « Sur une vingtaine de classes avec lesquelles j’ai travaillé, la plupart n’avait jamais entendu parler de ce projet, pourtant l’un des plus grands aménagements de ce type en Europe qui allait se construire à quelques minutes de chez eux. Quand ils ont découvert le spot publicitaire d’EuropaCity, la majorité était séduite par la piste de ski et le shopping, alors que l’Ile-de-France déborde déjà de centres commerciaux mais perd chaque année 1400 hectares de terres agricoles. »
Avec Douce France, Geoffrey Couanon souhaite faire entendre la parole des jeunes : « Leurs regards, leurs doutes, racontent aussi beaucoup des enjeux auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés : comment inclure l’ensemble de la population au mouvement de transition ? Dans leur enquête, les lycéens arrivent à faire dialoguer des promoteurs immobiliers, des collectivités, des élus, des agriculteurs, des commerçants, des entrepreneurs, etc. Je souhaite que le film parle de ce processus de fabrication d’un territoire comme un "laboratoire de démocratie". »
Geoffrey Couanon décrit son film comme « une enquête qui propose d’approcher ce paysage comme un véritable décor de cinéma, avec les codes du western. Le film est tourné en cinémascope. Il joue du contraste entre les plans larges des paysages et les plans rapprochés de ces jeunes cowboys-enquêteurs. Par ces contrastes d’échelle de plans, c’est leurs places dans le paysage que je souhaite interroger ».
Le titre initial du documentaire était « La Valeur de la terre », en référence à l’urbanisation croissante au détriment du maintien de l’agriculture. Mais au cours du tournage, d’autres problématiques se sont révélées : le rapport des lycéens aux périphéries urbaines, à la terre, à la ville, à la consommation, à la démocratie. Finalement, le réalisateur s’est tourné vers le titre de la célèbre chanson de Charles Trenet car il permet de « jouer avec l’image idéalisée de la campagne d’antan, de questionner la place de l’agriculture dans nos vies, la place de la jeunesse et des quartiers populaires au sein du mouvement de transition écologique. »
Le réalisateur a choisi de filmer la Seine-Saint-Denis, plus particulièrement Villepinte, qui est l’une des plus jeunes villes de France (45% de la population a moins de 30 ans), mais aussi une des plus pauvres avec un taux de chômage record, « tout en étant au cœur de la Seine-Saint-Denis, le département français qui a le plus d’espace commercial par habitant, celui aussi où les friches industrielles et commerciales à l’abandon sont monnaie courante. »
Durant un an, l’équipe du film a suivi une classe de 1ère ES du Lycée Jean Rostand de Villepinte. En lien avec les professeurs, un programme pédagogique interdisciplinaire reliant Géographie (mutation des espaces industriels, agricoles et tertiaires), Sciences de la Vie et de la Terre (modèles agricoles, écosystèmes) et Sciences Economiques et Sociales (modèles économiques et rôle des collectivités) a été mis en place. Quant à Amina, Jennyfer et Sami, ils ont été choisi après des ateliers vidéos menés par le réalisateur dans les lycées du 93 : « Dans la classe, la force de ce trio, leurs questionnements, m’ont tout de suite touché. Les suivre coulait de source. »
Avec un budget d’investissement global de trois milliards d’euros, EuropaCity est le plus important projet privé de loisirs, culture, commerce et divertissement d’Europe. Il est porté par le groupe Auchan et son partenaire chinois Wanda qui veulent y investir pour urbaniser 280 hectares parmi les dernières terres agricoles particulièrement fertiles d’Île-de-France. Ce projet pharaonique que certains surnomment « le Dubaï français », s’inscrit dans le cadre des projets du Grand Paris, mais aussi initialement des Jeux Olympiques que Paris accueille en 2024 et qui auraient pu être une vitrine internationale pour EuropaCity. 230 000 m2 de commerces, de bureaux et d’hôtels, autour d’un parc aquatique, d’une piste de ski et d’un musée promettent de créer 11 000 emplois alors que sur le Triangle de Gonesse où doit se construire Europacity, 17 agriculteurs cultivent aujourd’hui blé, maïs, colza et betteraves.