Tropic : les secrets du tournage

"Tropic c’est l’histoire de Tristan et Lazaro, des jumeaux qui ont intégré une école ultra élitiste, afin de participer à un programme militaire de colonisation spatiale. Une nuit, lors d’un entraînement, Tristan est contaminé par un liquide toxique mystérieux qui va avoir un impact sur son physique et sur son mental. Suite à cet accident, on va suivre cette cellule familiale qui va se désintégrer et révéler la personnalité et les traumatismes de chacun. C’est un film sur la fraternité, sur les routes qui divergent, sur la pièce qui tombe du mauvais côté et sur l'acceptation du destin."

Edouard Salier a d’abord réalisé des courts métrages expérimentaux qui ont beaucoup voyagé en festivals (Sundance, Venise, Clermont-Ferrand, Gérardmer, etc.), des clips pour des artistes majeurs (Massive Attack, Justice, Air, Metronomy…) et coréalisé un documentaire, Africa Mia, qui retrace l’influence de la musique cubaine au Mali.

Il puise son inspiration de différentes disciplines ; de la bande dessinée à la littérature sud-américaine, aux mangas et à la science-fiction en général. Son travail nous emmène la plupart du temps dans des mondes dystopiques, où les thèmes de la monstruosité et de la jeunesse en construction sont au coeur des récits et des univers qu’il déploie.

Ninon Chapuis, la productrice du film, connaissait le travail d'Edouard Salier. Elle a appelé le réalisateur pour lui faire lire une première version du scénario de Mauricio Carrasco, un auteur chilien : "Au-delà d'une troublante proximité en termes de références, d’univers sur lesquels nous travaillions déjà chacun avant de se connaître (la monstruosité dans des univers dystopiques mais empreints d'un grand réalisme), lui et moi avions dans nos histoires familiales des événements difficiles qui ont insufflé les thèmes du film."

"Ensemble, nous avons trouvé comment les traiter, comment parler de cette famille qui doit tout reconfigurer. Et nous avons passé deux ans à travailler à quatre mains pour créer l’univers de Tropic", se rappelle Salier.

Edouard Salier a tourné en pellicule 16mm. Le réalisateur avait comme contrainte ce personnage avec sa prothèse monstrueuse, ainsi que son univers "futuriste". Il se souvient : "Lorsque l’on tourne avec les technologies actuelles en HD, les images ont une telle précision dans les détails que les prothèses, les effets spéciaux, les textures n’ont pas droit à l’erreur. Je cherchais donc une image granuleuse qui brouille le vrai du faux, qui suinte. Avec Mathieu Plainfossé, mon DOP, on a fait des tests et le 16mm était vraiment le médium qui nous permettait d’être au plus proche des personnages."

En ré-scénarisant le projet, Edouard Salier avait le sentiment que le fait de placer l'action dans une forme d’univers parallèle lui donnerait plus de liberté quant au monde qu'il souhaitait montrer : "Je sais aussi les difficultés liées à la réception des films “de genre” et d’auteur, encore très récents en termes d’exposition, par le public français, européen, qui est moins habitué que d’autres à croire au monde qu’on lui propose. Il fallait créer un pacte avec le spectateur. Si je datais l’action je risquais d’être confronté à des problématiques de véracité techniques ou historiques, trouver une date n’avait pas vraiment de sens et je voulais appréhender le film comme une fable, un conte."

"Aussi, inventer un monde futuriste crédible demande des moyens que nous n’avions pas. Il a donc fallu inventer ce monde. Par contre, ce qui était essentiel pour moi, c’était de raconter ce monde qui collapse, ce monde au bord du précipice que se partage trois multimilliardaires et leurs rêves de colonisation spatiale, seule issue semble-t-il, au désastre annoncé. C’est pour cela que pour moi toute l’ironie dramatique, le tragique du film réside dans le fait que le drame auquel va être confrontée la famille Guerrero vient justement de l’espace. Leur rêve va se retourner contre eux, comme une forme de rappel à l’ordre. Le cosmos est plus fort", confie le metteur en scène.

Le financement de Tropic a été celui d’un premier film d’auteur très bien soutenu, puisqu'il a bénéficié de plusieurs aides : CNC, Avance sur recettes, soutien de deux régions, Canal+, etc.. "Cela dit, nous nous sommes tout au long de ces parcours heurtés à la difficulté de classer le film. Est-ce un film de genre? Un drame intimiste d’auteur? Ça a été une question permanente, et de vraies décisions «stratégiques» pour parler du film aux différents guichets qui ont encore du mal parfois à appréhender cette hybridité. Mais on s’en est bien sortis, malgré toutes les difficultés liées à la pandémie", précise Edouard Salier.

Le casting a été un des moments les plus difficiles de la préparation du film. Edouard Salier voulait trouver deux jeunes comédiens qui puissent se ressembler de manière troublante d’une part, et avoir des aptitudes physiques hors normes d’autre part. Le metteur en scène explique :

"Il fallait aussi qu’ils soient très conscients du point de départ “politique”, du discours qui imprègnent le film pour que d’une manière ou d’une autre, ils soient aussi “véhicules”, par leur jeu, de ce que je voulais raconter. Il fallait donc qu’ils soient jeunes mais très matures, qu’on puisse discuter beaucoup, de leur vision des choses aussi, qu’on improvise, et qu’ils s’adaptent aux contraintes techniques que j’ai décrites."