Pour définir la tonalité voulue pour son film, Olivier Babinet avait la formule suivante : "une goutte de Miyazaki dans les frères Dardenne". Cette hybridation se retrouve dans le mélange des genres, entre teen-movie, fantastique et chronique sociale. "J’aime qu’un film ouvre des portes sur d’autres mondes, sans forcément s’interdire d’être réaliste. En tant que spectateur, je trouve que les notions de fantastique et de naturalisme ne sont pas incompatibles." L'irruption du fantastique permet selon lui de mettre à distance le misérabilisme : "Lorsqu’on se lance sans recul dans le réalisme social, il y a une certaine esthétique de la pauvreté qui tend à prendre de la place. [...] Or l’onirisme permet toujours de rendre l’espace un peu plus respirable."
Normale est adapté de la pièce de théâtre Monster in The Hall de David Greig, qu'Olivier Babinet a découvert grâce aux scénaristes Juliette Sales et Fabien Suarez. Le réalisateur s'est retrouvé dans les velléités artistiques du personnage de Lucie : "j’ai souvent buté sur mes désirs de contes à l’hollywoodienne : ils entrent en contradiction avec mon identité artistique, qui reste ancrée en France. Alors j’ai cru à la possibilité de raconter un tel hiatus culturel, à travers un récit qui échappe justement aux cases de la sociologie. Tout comme Lucie et son père William s’évadent grâce aux films de zombie, aux romans ou aux jeux vidéo, le film prend la tangente en brouillant les genres".
Olivier Babinet avait déjà filmé l'adolescence dans son documentaire Swagger, qui était né d’une série d’ateliers cinéma qu'il animait dans un collège d’Aulnay-sous-Bois. Les élèves qu'il avait accompagnés sur plusieurs années étaient devenus les protagonistes du documentaire. De même, David Greig a écrit Monster in The Hall (dont est adapté Normale) au fil d’un atelier théâtre mené dans une banlieue d’Écosse, auprès d’une classe de "jeunes aidants", c’est-à-dire des adolescents qui s’occupent d’un parent isolé, malade, toxicomane ou alcoolique. Greig a prévenu les élèves qu’il se servirait de cette expérience pour rédiger une pièce. Tous ont accepté à deux conditions : que ce soit drôle et que le public n’ait pas pitié d’eux. "J’ai beaucoup aimé ce principe. [...] C’est très proche de la manière dont j’ai abordé Swagger. J’ai cette vision de la jeunesse, qu’elle soit défavorisée ou non : on peut la comprendre rien qu’en s’intéressant aux fictions qu’elle a dans la tête, aux mondes qu’elle échafaude pour briser son carcan", explique Babinet.
Justine Lacroix, qui incarne Lucie, a été révélée dans C'est ça l'amour, où elle jouait l'une des filles de Bouli Lanners. Le réalisateur de Normale n'avait pas vu le film de Claire Burger et a choisi la jeune actrice lors d'un casting : "[...] elle m’a immédiatement ému, lors d’une improvisation pour le casting. Il s’agissait d’un entretien avec un assistant social. Au fond, c’est sa manière de dire « Popa »... qui m’a bouleversé. Tout était dit, « On est bien avec mon Popa »... son amour profond, sa volonté farouche de défendre sa vie avec lui, de sauver les apparences pour ne pas être séparée de lui. J’ai peut-être également choisi Justine parce qu’elle a grandi dans l’Est de la France, comme moi. Cela relie nos adolescences".
Justine Lacroix ne savait pas qui était Benoît Poelvoorde avant de le rencontrer ! "Ce qui m’arrangeait bien car je souhaitais ramener Benoît « sur terre » (rires)", s'amuse le réalisateur. Il précise : "Je lui ai donné une liste de films à voir, dont Les 400 coups, qu’elle a détesté... Elle est d’une génération portée sur les séries américaines plutôt que les livres ou les films".
Le personnage de William, joué par Benoît Poelvoorde, n'est pas sans rappeler l’archétype belge du "baraki", qui désigne en wallon un forain, une personne vivant dans une baraque ou une roulotte. Le réalisateur a tenu à réaiguiller ce rôle d'homme frustre vers un côté poète : "ça reste un homme qui passe du temps dans les bouquins de science-fiction, dans des imaginaires assez foisonnants, il sait faire preuve d’inventivité. Benoît a très bien ménagé cet équilibre entre le baraki fan de moto et le geek lettré, parce que sa personnalité est constituée de ce genre de grands écarts."