Les Graines que l'on sème a été réalisé à l’invitation de la Ville d’Ivry-sur-Seine dans le cadre d’un projet pédagogique initié par le cinéma municipal Le Luxy et mené en partenariat avec le Lycée Romain Rolland auprès des élèves de 1ère Littéraire option cinéma. Lorsque Nathan Nicholovitch s'est rendu dans le lycée, l'établissement était en blocus depuis que six élèves avaient été placés en garde à vue, accusés de "dégradation aggravée" suite à la découverte d’un tag "Macron démission" :
"Le blocus demandait le retrait de la plainte que la proviseure avait déposée à la demande du rectorat, et qui plaçait les lycéens sous la menace de poursuites judiciaires conséquentes. C’est dans ce contexte chaotique que j’ai progressivement rencontré les jeunes. Tous oscillaient entre le désir de défendre leurs camarades, dont ils trouvaient légitimes les revendications, et le sentiment de culpabilité lié à une faute qu’il fallait réparer. L’idée du scénario du film est donc partie de cette oscillation."
"J’ai proposé aux élèves d’imaginer qu’une lycéenne placée en garde à vue pour avoir tagué Macron démission ne ressortait pas du commissariat. Avec l’idée de leur tendre un miroir et avec le désir de dessiner avec eux leur propre image que la fiction nous permettrait à la fois de déplacer, d’incarner et d’éclairer. Mon intuition était de pousser la réalité de ces lycéens jusqu’à la tragédie pour mieux la rendre visible, et par là tenter de mieux la comprendre", se rappelle le metteur en scène.
Les Graines que l'on sème fait partie de la Sélection ACID Cannes 2020.
Nathan Nicholovitch a d’abord écrit un scénario assez classique permettant d’accéder à la dramaturgie du film, mais avec des trouées dans lesquelles allait s’inscrire progressivement la part d’écriture des lycéens. Chaque élève, ainsi que Marie Clément, la professeure qui menait le projet avec le réalisateur, était chargé d’écrire son hommage à Chiara, puis de l’interpréter à l’église ou au cimetière :
"Ainsi, le personnage central du film appartenait à chacun. Dans le creux de cette mort fictive, c’est leur vie à eux que je cherchais à attirer. Les hommages leur permettaient de cristalliser une vérité intérieure et d’exprimer une parole singulière. Chacun a puisé dans ses émotions et sa lecture des événements pour inventer Chiara et sa relation avec elle", explique Nathan Nicholovitch.
"Durant cette phase d’écriture, ce dernier a essayé de repérer ce que chacun pouvait porter de singulier afin de les encourager à s’en saisir pour l’écriture de leur personnage : des questionnements personnels, une façon d’être particulière... Le talent de Pauline à la guitare et au chant par exemple, celui de Pierre pour dire un poème, le besoin d’un autre d’exprimer sa colère..."
"Tout ce qu’ils souhaitaient convoquer d’intime devait nécessairement faire partie intégrante du film. Nous avons longuement retravaillé ensemble ces hommages qui ont progressivement trouvé leur forme et leur place dans le scénario initial."
De son côté, en fonction des propositions des lycéens, Nathan Nicholovitch a développé les autres figures du film, à savoir les adultes. Le cinéaste les a pensés comme autant de chambres d’échos aux paroles des jeunes. Il se souvient :
"Pour ces personnages, il ne s’agit jamais de recadrer ce que les adolescents expriment ni de les contrer ou de vérifier des présupposés, mais au contraire de prolonger leurs pensées, leurs mots, dans des perspectives plus larges."
"Enfin et en parallèle, dès le premier atelier, j’ai demandé aux lycéens de venir chaque semaine au lycée avec trois plans filmés au téléphone portable sur « un état du monde ». Nulle mise en scène ou dialogues ne devait y figurer."
"Je voulais voir simplement des plans de 30 secondes au minimum tirés de leur quotidien, de leur réalité, de ce qu’ils vivaient. C’était une manière de les faire entrer en cinéastes dans ce bourbier de l’hiver 2018-2019. Ces images ont accompagné l’écriture du scénario et ont enrichi le film."
Pour Nathan Nicholovitch, faire travailler ensemble des comédiens professionnels et amateurs est un moteur pour les uns comme pour les autres. Il précise : "A chaque film, j’ai un réel plaisir à « faire troupe » et je place toujours le travail avec les comédiens au centre du plateau, au cœur du travail. J’ai donc demandé une grande qualité de présence aux lycéens, un véritable engagement, pour pouvoir en retour leur offrir l’attention la plus précise possible. Le « jeu » - au sens primaire du terme - les appelait à explorer leur capacité à « être ». Leur grande puissance de vie, d’émotivité, de candeur ont été autant d’appuis pour interpréter leurs rôles."
Le travail « en atelier » a conduit Nathan Nicholovitch à penser et à produire des images d’une nouvelle façon : collectivement et non plus en solitaire, et surtout en constante progression et en tâtonnements successifs. Le cinéaste explique :
"Car je souhaitais nourrir le film des plans issus de nos téléphones portables tout en travaillant des formes très diverses - fictives et documentaires – pour questionner la brutalité du pouvoir et les désordres du monde. Mon désir était d’expérimenter comment des images diverses, parfois même opposées, pourraient cohabiter et dialoguer ensemble. Il s’agissait également de trouver une forme filmique à cet aller-retour entre le réel des lycéens, leurs discours, et la fiction que nous faisions naître."
Pour les parties dites fictives, Nathan Nicholovitch a conçu un traitement de l’image très éloigné de celui des téléphones portables : un format en 2:35 et une caméra continuellement sur pied pour obtenir des cadres stables. Il se rappelle :
"Malgré le peu de moyens techniques dont nous disposions, il était important que l’image de ces séquences soit très picturale. Je cherchais une représentation de la douleur au travers des visages qui parcourent le film, et une figuration filmique de cette question ô combien aiguë : comment peut-on faire société après la mort d’une enfant causée par le pouvoir en réponse à une expression de son opposition ? Dans cette recherche, nous nous sommes inspirés avec le chef opérateur des tableaux du Caravage, de Fantin-Latour et d’Edvard Munch."