Particulièrement touchée par la crise des subprimes en 2008, Détroit est devenue tristement symbolique en étant la plus grande ville américaine déclarée en faillite le 18 juillet 2013. Dès lors, de nombreuses photographies et divers ouvrages ont été publiés sur la ville, dans une démarche esthétisante qu’Andreï Schtakleff a toujours trouvé complaisante et indécente : « D’ailleurs, on ne voyait jamais les habitants de Détroit dans ces œuvres : ils étaient « effacés » des photographies, et particulièrement les afro-américains… avec, parfois, ce drôle de sous-entendu : « voilà ce qu’ils font quand on leur laisse une ville à gérer ». [...] J’ai toujours eu envie de partir à Détroit, parce qu’y partir, c’était vouloir remettre cette histoire dans l’image. »
Après ses films L’Exil et Le Royaume et La Montagne magique, Andreï Schtakleff considère Detroiters comme une conclusion à une trilogie documentaire sur la post-industrialisation. « J’ai toujours eu l’idée que les ruines de Détroit n’étaient pas le signe d’un monde ancien disparu mais étaient constitutifs d’un capitalisme en train de se disloquer : fragmentation de la ville, des usines, des quartiers, des maisons… afin d’isoler au maximum les habitants. C’est ainsi que la forme de Detroiters s’est dessinée : les ruines de Détroit disent notre état contemporain. »
Durant la postproduction de son film La Montagne magique, le réalisateur a émigré à Los Angeles où il a commencé à faire des recherches et des rencontres. Il a ensuite fait deux séjours à Détroit, où il est resté six mois sur place en tout et pour tout. Les repérages ont eu lieu à l’hiver 2018 et le tournage, un an plus tard, de fin janvier à avril 2019. Il en est revenu avec entre 30 et 40 heures de rush. « Pour appréhender l’espace de la ville, je faisais beaucoup de vélo, ce qui permet de rencontrer facilement des habitants. La seule certitude que je pouvais avancer dans mes discussions, c’était ma volonté de documenter leur parole. »
Le réalisateur tenait à tourner uniquement en hiver afin de filmer Détroit sous la neige « dans une recherche qui peut amener à la fois de la mélancolie et le sentiment d’arriver dans une ère post-apocalyptique. Cela permettait également de revenir à cette réflexion sur le fragment et la perte. La neige permettait également d’obtenir un son extrêmement singulier dès que nous étions dehors. »
Détroit est victime d’un phénomène de gentrification, où les habitants des quartiers populaires sont repoussés aux marges de la ville. Le réalisateur précise : « Sur ce point et d’autres, Detroiters prend clairement position : je suis de leur côté. Il ne faut pas se cacher qu’il y a clairement des camps sur ces questions ; c’est pour cela que je n’ai pas été rencontrer des responsables politiques de la ville pour les interroger ou les filmer. »