Goliath : les secrets du tournage

Au moment où il écrivait L'Affaire SK1 (2014), Frédéric Tellier est tombé sur un petit livre de constat qui ne parlait pas exclusivement des pesticides mais plus largement de l'alerte sur le milieu agricole et ce que l'on mange. Le réalisateur s'est alors lancé dans une enquête qui a duré cinq ans... Il se rappelle :

"Ce travail d’enquête a en tout cas donné lieu à une première version de récit de 70 pages avec une dizaine de personnages, et avec l’idée qu’il s’agirait d’un film mosaïque où tout s’imbriquerait pour observer comment la force du mal s’immisce chez les hommes en général, comment on arrive paradoxalement à produire une agriculture si performante, alors qu’on jette tant d’excédents de cette production à chaque fin de mois, et que dans un silence très dérangeant un agriculteur se suicide tous les deux jours, de désespoir, d’épuisement, de dettes. Simon Moutaïrou (co-scénariste) est arrivé à ce moment-là, pour qu’on entre plus précisément ensemble dans la dramaturgie de Goliath."

Avec Goliath, Frédéric Tellier retrouve Pierre Niney qui jouait le courageux pompier de Sauver ou périr. Cette fois, le comédien campe Mathias, le lobbyiste détestable, arrogant et prêt à tout pour arriver à ses fins. Avec ce personnage, le cinéaste voulait éviter de montrer un méchant qui, au final, devient gentil. Il précise :

"Comme si tout le monde est toujours gentil dans le cinéma, et s’excuse. Je crois vraiment qu’on peut être un salopard toute ta vie. Sans jamais changer de cap ou manifester de regrets. En revanche on s’arrange avec la vérité, avec sa propre vérité. On est humainement une saloperie, on est égoïste, ou manipulateur, on se sert des autres, on crée du malheur ou de la souffrance, mais au nom de quelque chose, qui fait qu’on se ment à soi-même. Et puis on n’est pas une saloperie sur toute la ligne, on donne quand même à des œuvres, on est sympa en société, on est drôle."

A l'origine, Frédéric Tellier voulait confier le rôle de l'avocat à Emmanuelle Bercot, du lobbyiste à Gilles Lellouche et du professeur de sport qui devient activiste écologique à Pierre Niney. Lellouche ne souhaitant pas jouer un personnage détestable obsédé par l'appât du gain (comme il l'avait déjà fait dans Ma part du gâteau), il a convaincu le réalisateur de lui attribuer l'avocat. Ainsi, Bercot hérite du personnage de l'activiste et Niney de celui du lobbyiste.

Frédéric Tellier retrouve également Chloé Stéfani après L’Affaire SK1 et Sauver ou périr. Dans Goliath, la comédienne campe une agricultrice.

Frédéric Tellier et le directeur de la photographie Renaud Chassaing voulaient souligner le contraste entre la beauté de la nature et les gens qui la détruisent consciemment, cyniquement et impunément. "Je ne voulais pas d’une ambiance grise pour affirmer une histoire dramatique, mais des beaux plans de nature permettant des évocations poétiques, presqu’oniriques, dans un vrai courant réaliste façon Manet ou Caillebotte. Nous avons également évoqué ensemble le travail photographique de Philip Lorca DiCorcia. J’assume rechercher une certaine beauté, une esthétique à l’écran. Tout en gardant du réalisme. Je pense être un formaliste", affirme le réalisateur.

Frédéric Tellier a opté pour une musique écorchée. Après avoir lui-même co-composé les bandes-originales de ses deux premiers films, le metteur en scène a fait appel à Bertrand Blessing, un compositeur qui n’est pas un spécialiste de la musique pour le cinéma (même si c’est en entendant son travail sur En guerre de Stéphane Brizé qu'il a été conquis). Le metteur en scène se souvient :

"Bertrand a commencé à travailler très en amont, bien avant le tournage, en s’appuyant sur le scénario et une petite playlist que je lui avais fournie tout en l’encourageant à faire quelque chose qu’il ressentait lui. Puis, pendant le tournage, je l’appelais souvent et je lui envoyais des bouts de rushes. Il a composé une soixantaine de morceaux en tout. On en a gardé 20. Bertrand a ce côté rock romantique que je recherchais."

Pour se préparer à son rôle, Gilles Lellouche a assisté à des plaidoiries. Une chose qui lui a été bénéfique, l'acteur ayant, au départ, une vision très américaine des tribunaux. Il se rappelle : "J’ai tellement été biberonné aux films de procès américains qu’ils avaient forcément déteint sur moi. En allant voir la réalité de ce métier d’avocat en France, les nombreuses différences m’ont sauté aux yeux. Il y a moins d’effets de manche. On est dans quelque chose de beaucoup plus factuel. On ne prend pas à parti le jury comme aux États-Unis où on est plus proche du spectacle."

La scène finale montrant, de manière impressionnante, une Emmanuelle Bercot très amaigrie, a été retouchée en post-production (l'actrice n'a pas perdu de poids).