Hassan est un ex-taulard toujours prêt à se vendre au plus offrant pour effectuer des mauvais coups et en retirer un maigre bénéfice. Son fils Issam a pour l’instant réussi à ne pas suivre la voie de son père, quitte à effectuer les boulots les plus ingrats pour un salaire de misère. Les deux acceptent une tâche qui ne devrait leur demander guère d’efforts : pour le compte de Dib, kidnapper et donner une leçon à l’homme qui, la veille, l’a roué de coups, après un combat de chiens perdu.
Hassan et Issam réussissent sans trop de difficultés à mettre la main sur le colosse et à l’embarquer dans le coffre de la camionnette asthmatique qui leur a été prêtée pour l’occasion. Mais le prisonnier ne survit pas à l’épreuve et les deux hommes se retrouvent avec un cadavre volumineux dont ils doivent se débarrasser avant le lever du soleil.
Le scénario des "Meutes" présente un défaut structurel, le même que celui que j’avais déjà pointé du doigt dans "Juste une nuit", un film iranien sorti l’automne dernier, qui présente de nombreuses analogies avec ce film marocain : on sait par avance, au moins pendant les trois premiers quarts du film, que toutes les tentatives des deux hommes de se délivrer de leur encombrant colis seront vaines… sauf à ce que le film perde immédiatement son unique moteur.
Pour tourner cet écueil, il faut donc se désintéresser de l’histoire que "Les Meutes" raconte pour n’y voir qu’un prétexte à autre chose : la description des bas-fonds de Casablanca, loin de toute l’imagerie de carte postale que la grande cité portuaire marocaine charrie depuis Michael Curtiz, et celle des trognes cassées qui la peuplent – à commencer par celle incroyable de Abdellatif Masstouri dans le rôle de Hassan.
"Les Meutes" m’a rappelé d’autres films. Avec "Médecin de nuit", qui suit à la trace Vincent Macaigne l’espace d’une nuit dans le vingtième arrondissement parisien, ou "Juste une nuit" que j’ai déjà cité, il partage la même unité de temps : son action, qui en est d’autant plus étouffante, se déroule l’espace d’une nuit. Parce qu’il se déroule au Maroc et parce que son histoire, elle aussi, est ramassée en vingt-quatre heures à peine, j’ai songé à "Sofia", qui raconte la machination ourdie par une femme pour s’éviter le stigmate d’une grossesse hors mariage. Mais c’est surtout à l’atmosphère poisseuse de quelques polars iraniens récents que "Les Meutes" m’a fait penser : bien sûr "La Loi de Téhéran", une plongée asphyxiante dans le monde interlope et nocturne de la pègre, mais plus encore "Marché noir", un autre film iranien éclipsé hélas par le précédent, qui mettait précisément en scène un père et son fils contraints d’enterrer trois hommes retrouvés congelés dans une chambre froide.
Les avanies qui se succèdent et empêchent Hassan et Imam de faire disparaître leur encombrant colis seraient presque comiques à force d’accumulation. Mais "Les Meutes" ne prête guère à rire. Au contraire, jusqu’à son ultime plan – un chouïa trop malin pour n’être pas poseur – il glace les sangs.
Après avoir tressé tant de louanges aux cinémas algérien ("La Dernière reine", "Papicha") et tunisien ("Les Filles d’Olfa", "Un fils", "Une histoire d’amour et de désir"), "Les Meutes" m’offre une nouvelle occasion de vanter les qualités d’un jeune cinéma marocain en pleine effervescence dont quasiment chacune des productions est une réussite.