Le film a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2022.
Les Cinq Diables est né de l’idée d’une petite fille obsédée par les odeurs. Un sujet très personnel pour Léa Mysius qui elle-même essayait enfant de reconnaître des odeurs et de les reproduire, au point de suivre plus tard des formations pour essayer de mieux comprendre l’extraction et la composition des parfums. Cependant, elle ne voulait pas situer son film dans le milieu de la parfumerie : “j’ai tout de suite cherché quelque chose de plus primitif, de plus purement sensoriel sans rapport avec l’industrie.”
Lors de l’écriture des Cinq Diables, Léa Mysius a lu des auteurs américains comme Jim Harrisson (Légendes d’automne), James Baldwin (La prochaine fois, le feu), Jonathan Franzen (Freedom) et Maya Angelou (Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage) : “je me suis toujours efforcée d’ancrer le film en France et de ne pas y plaquer des problématiques sociales et politiques d’un autre continent. Ce qu’il en est resté, c’est cette volonté de mythifier des lieux et des personnages comme peuvent le faire Jim Harrison dans Dalva ou Philip Roth dans Pastorale américaine.” D’où l’envie d’ancrer son récit dans un village au pied des Alpes aux paysages grandioses avec une famille métissée et un personnage mythique : Joanne, une ancienne Miss Rhône-Alpes déchue.
Léa Mysius n’a pas entrepris l’écriture du film avec l’idée de faire un film de genre mais le fantastique s'est imposé de lui-même. Au cours de l’écriture, l’obsession de Vicky s’est transformée en pouvoir magique. “Je ne voulais pas que ce soit un film trop cérébral. Choisir le genre fantastique me permet de parler des méandres des obsessions humaines de manière ludique, spectaculaire et angoissante à la fois. C’est comme ça que des références comme Twin Peaks de Lynch, Shining de Kubrick ou Get out et Us de Jordan Peele se sont superposées aux références littéraires et psychanalytiques. Le film est au croisement de toutes ces réflexions et de ces envies que j’ai fait miennes, ce qui lui donne cette forme un peu hybride.”
La réalisatrice a choisi de filmer la France telle qu’elle est tout en proposant de nouveaux systèmes de représentations. C’est ainsi qu’elle met en scène des femmes et des personnages noirs et métissés. “C’est très important pour moi de montrer de la diversité jusqu’au fin fond d’un village de montagne. Surtout de nos jours où le RN est le deuxième parti de France”. Ses personnages sont “maîtres de leur destin et porteurs d’un désir d’émancipation face aux injonctions de la société incarnées par le village et ses habitants”.
Les hommes sont à la marge de l’histoire, tandis que les femmes sont puissantes et détiennent le pouvoir. Léa Mysius raconte : “C’est sûrement que comme beaucoup de féministes actuelles je suis hantée par la figure de la sorcière et la puissance invaincue des femmes. Sans la volonté d’exclure les hommes : même s’ils sont en retrait, j’essaie plutôt de proposer une alternative au rôle masculin traditionnel.”
À l’opposé des plages ensoleillées d’Ava, Les Cinq Diables se déroule dans un cadre montagneux froid et enneigé. Un paysage qui participait à la tonalité fantastique du film, comme le précise la réalisatrice : “un lieu possédant cette étrangeté où passé 14h le soleil se cache derrière la montagne – ce qui nous arrangeait parce qu’à partir de là, on pouvait faire des fausses heures bleues.”
Léa Mysius a collaboré avec sa sœur jumelle Esther, directrice artistique du film. C’est elle qui a trouvé le décor des Cinq Diables, ce village encaissé près de Grenoble. La réalisatrice revient sur l’influence de sa sœur : “C’est Esther qui m’a poussée vers des décors plus marqués « fantastique » alors que j’imaginais au début des lieux plus ordinaires et je l’en remercie. Elle a trouvé le lotissement avec les maisons pointues et les montagnes au fond, elle a trouvé le lac, elle a ouvert des possibilités de décors que je n’avais pas imaginées et qui apportent un vrai caractère au film [...]”.
Paul Guilhaume a occupé deux postes rarement cumulés par la même personne : coscénariste et chef opérateur. Si c’est Léa Mysius qui a concrètement écrit le film, elle n’a cessé d’échanger avec Guilhaume au cours du processus : “Paul m’aide à restructurer, à réfléchir, à aller plus loin mais pas trop non plus parce que j’ai tendance à m’emballer.” Visuellement, c’est lui qui a injecté du mouvement dans le long-métrage : “On avait le désir de mélanger tous les types de focales aussi pour être les plus riches et les plus libres possible.”
Comme Ava, Les Cinq Diables a été tourné en 35mm. Léa Mysius n’exclut pas pour autant de tourner un jour en numérique mais la pellicule s’est imposée sur ce film pour sa matière, “ses couleurs, son épaisseur, son côté charnel, sacré aussi car la pellicule confère un aspect très cérémonial au tournage qui imprègne forcément les comédiens et les techniciens et donc le film. Les Cinq diables parle d’invisible et il y a de l’invisible dans la pellicule alors qu’avec le numérique, tout est visible.”
La jeune Sally Dramé fait ses débuts au cinéma dans Les Cinq Diables. La réalisatrice l’a repérée dès le début des castings. “Sally a un visage qui pourrait être celui d’une adulte, avec quelque chose qui semble venir du fond des âges. On dirait une vieille sage. Au départ, elle ne savait pas vraiment jouer, elle récitait son texte. Elle a beaucoup travaillé, c’est une enfant à l’écoute, sérieuse, concentrée, intelligente et patiente”, se souvient Léa Mysius.
À l’instar de Sally Dramé, Swala Emati fait ses débuts d’actrice dans Les Cinq Diables. Chanteuse, elle a été repérée par la directrice de casting sur une vidéo Facebook. Elle n’envisageait pas de jouer la comédie et a même failli ne pas venir le premier jour de tournage, son personnage étant à l’opposé de son caractère. Léa Mysius confie : “Être filmé demande du lâcher-prise et contrairement à ce qu’on pourrait penser ce n’est pas évident quand on n’est pas comédien. [...] Je crois qu’elle craignait que je la pousse trop en dehors de ses retranchements et que ça pouvait être violent pour elle à ce moment-là de sa vie.”
Trouver l’interprète de Jimmy n’a pas été chose facile. C’est finalement Moustapha Mbengue, révélé par Amin de Philippe Faucon, qui a été choisi. Léa Mysius avait été marquée par lui en voyant une photo d’Amin mais le comédien paraissait trop âgé pour le rôle et ne parlait pas français. Son casting a été toutefois une évidence pour la réalisatrice : “Peu importe l’accent, peu importe l’âge, j’adapterai le personnage. Et il était prêt à beaucoup travailler pour apprendre la langue. On a simplement glissé une explication dans un dialogue pour l’accent - Jimmy en a un et pas sa sœur parce qu’il est né au Sénégal et qu’il était déjà vieux quand il est arrivé en France contrairement à Julia qui est née en France comme Vicky - et finalement ça a apporté une nouvelle dimension sociale et politique tout en ajoutant une touche d’étrangeté.”