Au moment où Eric Gravel écrivait le scénario de A plein temps, il n'avait pas d'actrice en tête pour le personnage principal. Puis, lorsqu'il a commencé à réfléchir à des noms de comédiennes, celui de Laure Calamy s’est imposé. Le metteur en scène se rappelle :
"Le côté pétillant qu’insuffle Laure à ses rôles, permettait d’équilibrer le personnage de Julie qui, tout en traversant une période difficile, laisse apparaître de la lumière à son personnage. En fait, on ne connaît pas grand chose de cette femme, juste qu’elle vit au présent avec sans cesse en tête l'idée d'assurer le lendemain."
"Et puis, Laure est une actrice et une femme pleine de vie, par conséquent, c'était pour moi intéressant de la mettre dans la peau de cette femme qui traverse un moment très chaotique de sa vie, que les Américains résument par l'expression "the perfect storm", quand vous accumulez en un seul moment tous les problèmes possibles et imaginables et qu’il va bien vous falloir résoudre."
Eric Gravel voulait que Julie soit dans l'action permanente. Il a donc fait en sorte qu'elle exerce un métier de service, qui ne s’arrête pas, même s’il y a des grèves généralisées. Ce qui intéressait aussi le cinéaste était l’idée de redondance dans le quotidien. Il précise :
"Et ce métier permet de montrer à quel point Julie est une femme de performance et une perfectionniste. Le métier de première femme de chambre de palace n'est pas simple. Il y a beaucoup de choses à connaître, des gestes précis et des codes à respecter. Leur travail doit être parfait."
A Plein temps se situe lors d'un grand mouvement social qui se propage à toutes les sphères d’activités : "Ça se met à craquer de partout, un peu comme ce qui arrive à mon personnage. J’avais envie que vivent en parallèle le combat individuel et collectif, que graduellement, on comprenne qu’ils sont liés, racontent la même histoire, que l’un est la conséquence de l’autre", explique Eric Gravel, en poursuivant :
"Et je me suis souvenu des grèves à Paris en 1995, j’avais été impressionné par la façon dont les Parisiens et les banlieusards étaient solidaires et faisaient vivre la ville autrement, en marchant, en faisant du stop, en s’entraidant. Je voulais montrer cette ambiance de combat quotidien et surtout cette solidarité."
Eric Gravel a opté pour une caméra vivante qui puisse détecter les moindres gestes et l'état d’esprit du personnage principal : la manière d'un film d’action, avec une grande liberté de mouvement, du plus fluide au plus saccadé, en travelling ou en zoom. Le metteur en scène développe :
"J’ai souvent restreint le champ de vision sur elle. Cela permettait que tout ce qui est autour d'elle, devienne une matière sensorielle hors champ. J’ai beaucoup utilisé de très longues focales, surtout dans ses déambulations en ville. C’était une façon simple de densifier la ville et de créer un Paris anxiogène."
"Julie vit la ville de cette façon, elle a l'impression d'être immédiatement accueillie par sa violence à chaque fois qu'elle descend de son train. Cela explique aussi pourquoi elle souhaite une autre vie pour ses enfants. Elle veut maintenir, quoi qu'il en coûte, son lieu de vie sur un territoire plus apaisé, au rythme plus humain."
À plein temps a obtenu les prix du Meilleur Réalisateur et de la Meilleure Actrice pour Laure Calamy dans la section Orizzonti à la Mostra de Venise 2021.
En amont du tournage, Laure Calamy et quelques autres comédiennes ont suivi une formation auprès de femmes de chambre, qui leur ont expliqué chaque geste à accomplir. "Je me souviens, qu’après une démonstration où ces femmes ont fait un lit impeccable en quelques minutes, nous les avons applaudies. C’était une vraie chorégraphie. Ces femmes avaient la passion du travail bien fait", se souvient Eric Gravel.
L'action du film se déroule à Paris, mais Eric Gravel a voulu représenter la capitale française comme s'il s'agissait de n'importe quelle ville. Le réalsiateur s'est par ailleurs inspiré de la façon dont on filmait New York dans certains films des années 1970. Il note :
"Paris est dans les gris orangers, et mon parti pris a été de le rendre plus froid, plus brut. Cela correspond bien à l'état d'esprit de Julie qui se trouve en terrain hostile dès qu'elle foule ce territoire. J'ai également exploité ce parti pris dans les séquences qui se déroulent au palace."
"Au départ, ces scènes devaient être de couleurs plus variées, différant selon les chambres, mais les teintes froides ont fini par s’imposer ici aussi. C’était une façon de faire basculer ce lieu, à priori très chaleureux, du point de vue de ceux qui y travaillent."
Eric Gravel a opté pour une musique électronique et répétitive qui s’accorde avec le beat du personnage et son rythme de vie, ses répétitions. "C’est sa musique intérieure, une succession de vagues qui nous transporte dans son expérience. J’avais très envie de collaborer avec un artiste de la scène électro qui apporte sa propre signature et la musique d’Irène Drésel porte intrinsèquement cette tonalité en elle.
"Au départ, j’ai monté le film sans musique, en étant uniquement porté par le rythme du personnage. Irène s’est donc retrouvée avec un espace de travail vierge, sans une tonalité imposée, ce qui lui a laissé la liberté d’installer sa signature, de façon très organique, un peu comme pour un concert", explique le cinéaste.